– Non… venez… il faut échapper à l’astronef.

     Car le vaisseau mystérieux piquait bien vers le point où s’était échouée l’épave de l’H.-S. 22.

     Le Dr Dormann, instinctivement, enserrait Ginella d’un bras qu’il, voulait protecteur.

     – Nous cacher, dit Muscat. Nous cacher. Vite !

    Coqdor sifflait Râx, qui les rejoignait et, les quatre, avec le petit monstre ailé, se dissimulèrent dans un repli du sol tourmenté de la petite planète.

     Et, désespérés de ne rien pouvoir, du moins provisoirement, pour leurs malheureux compagnons, ils attendirent…

     Ce ne fut pas très long.

     Nul ne pouvait plus réagir, parmi les malheureux qui entouraient encore le commandant Wlamm et le professeur Grasel.

     Dissimulés comme ils le pouvaient, effarés, anxieux, frémissants, Muscat, Coqdor, Ginella et le Dr Dormann voyaient débarquer ceux qu’amenait le navire inconnu, venu on ne savait d’où.

     Des humanoïdes, certes, des créatures humaines, mais appartenant à une race parfaitement ignorée.

     De taille moyenne, ils étaient tous assez minces, mais paraissaient nerveux, vifs, incroyablement véloces. On pouvait estimer aussi qu’ils effectuaient en silence ce qu’ils avaient à faire.

     On distinguait leur épiderme d’un ton bleuté assez bizarre, avec des yeux blancs assez désagréables d’aspect, des yeux où ne se voyaient ni l’iris, ni les prunelles.

     Ils allaient, rapidement, méthodiquement, relevaient tous les corps morts ou blessés, jugulaient la résistance des déments encore frénétiques, poursuivaient, avec une incroyable rapidité, ceux qui tentaient de fuir loin du lieu où gisait l’épave, et encadraient les malheureux qui, tels que le professeur Grasel, ne songeaient même plus à se débattre.

     En quelques instants, comme si tout cela eût été un ballet minutieusement répété de longue date, les inconnus eurent emmené tout être humain provenant du pauvre hôpital-satellite.

     Ginella, la tête contre l’épaule de Ben, sanglotait.

     – Qu’allons-nous devenir ?

     Près d’elle, Râx siffla, longuement, tristement.

     Ben, le cœur serré, ne savait que répondre.

     Muscat et Coqdor se concertaient à voix basse.

     Enfin, le policier releva la tête.

     – Ce que nous allons devenir… Nous allons rejoindre cet astronef.

     – Quoi ? s’effara Dormann, avec ces êtres… ces monstres… probablement responsables de tout.

     – Sûrement, indubitablement les responsables de tout, Docteur, les gens du voleur de rêves, les bourreaux de Titania et de l’H.-S. 22.

     – Et vous voulez que… avec Ginella…

     – Préférez-vous demeurer ici ?

     Ben, blême, regarda autour de lui.

     Sur quoi étaient-ils ? Sur un caillou de l’espace, un planétoïde parmi des milliers de planétoïdes.

     Il faisait froid. Il n’y avait que quelques lichens, un peu d’eau.

     Et rien. De la pierre.

     Et le vide et les milliers de petites lunes.

     Le Dr Dormann baissa la tête.

     – Je crois que vous avez raison. Viens, Ginella.

     Mieux valait se rendre, en effet, que de périr misérablement sur un pareil monde en miniature. Là, aucun espoir n’était permis.  

     Ils se mirent en route, tous les quatre, et Râx suivit en voletant.

    Ils s’approchèrent de l’extraordinaire construction spatiale, un globe central, haut de trente mètres, des globes adjacents, disposés selon des normes qui leur échappaient, parce que semblant non équilibrés.

     On ne voyait aucun sas. Mais des portes circulaires se pratiquaient spontanément dans la masse des globes, sans hublots, sans aspérités, sans rien, lorsque les hommes bleus aux yeux blancs s’approchaient, avec leurs victimes.

     Il y en avait encore, de ces êtres, mais ils ne manifestèrent aucune surprise lorsque le groupe avança.

     Muscat et Coqdor, avec les deux amoureux et le pstôr, marchaient parmi les créatures étranges, que vêtaient des scaphandres légers, que coiffaient des globes si transparents qu’on ne les distinguait pas de loin, et qui paraissaient ne pas les voir.

     Ils marchèrent vers le globe central. Un cercle vide s’y forma.

     Silencieusement, ils pénétrèrent, se trouvèrent dans une ambiance de lumière laiteuse, bleutée, mais sans pouvoir nettement distinguer ce qu’il y avait autour d’eux.

     Une voix prononça :

     – Soyez les bienvenus. Je vous attendais. Je savais que vous ne resteriez pas stupidement sur ce caillou où la mort vous attendait.

     Coqdor leva la tête et prononça :

     – Vous êtes celui qui se dit le voleur de rêves ?

     – Oui, Chevalier Coqdor.

     Des êtres avançaient vers eux et, cette fois, ils virent que ces faces bleues, ces yeux blancs de cauchemar, appartenaient à des femmes, qui les accueillaient.

     Sa mission terminée sur le planétoïde, l’extraordinaire astronef repartait dans l’espace, y plongeait, s’effaçait du système solaire, patrie des hommes.

     Pour émerger à quelques millions d’années de lumière.

    

      

      

      

      

      

      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      

      

 DEUXIÈME PARTIE

     

     

     

     

 L’ABÎME DE L’IRRÉEL

    

    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      

 

      

 CHAPITRE IX

 

      

     Yao’K pouvait être satisfait de lui, de son œuvre, de son peuple.

     Du haut de la formidable tour de contrôle, haute de sept cents mètres (mais que valait une telle mesure dans la Galaxie Rouge ?), Yao’K dominait la cité.

     Devant lui, un incroyable étalage de commandes, manettes, cadrans, etc., s’alignaient sur des tables superposées, en demi-lune, évoquant le clavier d’un orgue fantastique.

     Ce petit homme mince, à la peau bleue, aux yeux blancs, des yeux dénués en apparence d’iris, de prunelle, mais qui n’en possédaient pas moins une grande acuité de regard, ce petit homme régnait.

     Monarque élu en raison de sa science prodigieuse, il avait juré d’étendre sa domination au-delà de la Galaxie Rouge.

     Seulement, peu soucieux d’entamer des guerres interplanétaires avec les humanoïdes des planètes des constellations formant son univers, avait-il résolu de frapper plus loin, puisque ses moyens techniques le lui permettaient.

     Il s’en était donc pris à ceux habitant cette autre galaxie que ses indigènes eux-mêmes nomment la Voie Lactée. Tout particulièrement, il avait atteint le système solaire, la fédération Martervénux.

     Les premiers résultats, qualifiés seulement d’expérience, étaient satisfaisants et les nombreux assistants de Yao’K, travaillant depuis des années sur la juxtaposition des forces mécaniques et psychiques, se félicitaient avec le potentat.

     La machine est forte. La machine peut beaucoup de choses. La machine, création de l’homme, lui permet de dominer le cosmos.

     À condition toutefois qu’elle soit l’instrument au service du cerveau humain.

     Mais un cerveau, cela s’épuise. Un cerveau meurt, fût-il génial, avec l’homme ou la femme à qui il est attribué tout au long de sa vie biologique.

     Yao’K et les siens avaient donc cherché à pallier cette carence inexorable.

     Ils avaient fini par s’arrêter au fait que l’utilisation de plusieurs cerveaux, soigneusement reliés à une machine unique, pouvait donner d’extraordinaires résultats.

     Et, pour ne pas, encore une fois, semer la zizanie à travers leur galaxie, dite Galaxie Rouge, et nommée par ceux de la Voie Lactée Nébuleuse du Crabe, ils avaient tout d’abord capturé quelques esclaves du côté de la Constellation du Navire.

     Le monde du Navire étant parfaitement isolé et, jusqu’alors, en dehors de la confédération galactique de la Voie Lactée, les humanoïdes cogalaxiens n’avaient pas eu connaissance de ces rapts.

     Ils ignoraient, par voie de conséquence, que les malheureux kidnappés du côté des planètes du Navire servaient, selon l’expression d’un collaborateur de Yao’K, de matériau de base aux mystérieux et redoutables mirages qui avaient désolé la petite planète Titania.

     Poussant plus avant, renseignés par des réseaux d’espionnage fort bien organisés, et dont les membres, grâce à un savant maquillage, et à des verres de contact, ressemblaient à s’y méprendre à ceux de la Voie Lactée, Yao’K et les savants de la Galaxie Rouge avaient jeté leur dévolu sur les pensionnaires de l’H.-S. 22 dont l’état, en général, leur paraissait très favorable à la poursuite de leurs travaux.

     Cela, les prisonniers de Yao’K le savaient. Du moins ses prisonniers de marque. Ceux qu’il avait sélectionnés parmi les captifs glanés après l’écrasement de l’H.-S. 22.

     Et Yao’K, souriant, les regardant de ses yeux blancs, lesquels ressortaient bizarrement dans son faciès bleu, leur faisait les honneurs de la ville, du monde factice onirique, qu’il était en train de créer, sur la planète Eo, capitale de la constellation Um’k, la fédération la plus importante de la Galaxie Rouge, comprenant une bonne dizaine de systèmes solaires, avec plus de trente planètes.

     On avait installé les invités (invités bien contre leur gré) dans les fauteuils disposés en demi-cercle derrière le clavier géant que, seul, le seigneur Yao’K avait le droit de manipuler.

     Muets, ils regardaient, passionnés malgré l’angoisse permanente dans laquelle ils vivaient depuis qu’ils étaient arrivés à Eo, depuis qu’ils se trouvaient entre les mains de ces androïdes vifs et nerveux, si différents des autres humanités du cosmos, avec leurs yeux blancs et leur peau bleue.

     Ayant complaisamment éclairé ses hôtes forcés sur le monde d’Eo, sur sa science, sur ses projets, Yao’K voulait, en quelque sorte, procéder à une démonstration, le cabotinage existant chez les humanoïdes de toutes les galaxies, quelle que fût leur aspect biologique.

     Devant lui, la cité. Telle qu’il la faisait apparaître.

     Immense, géante, démesurée. Non seulement par son étendue mais par les dimensions ahurissantes de ses édifices.

     Le baroque le plus absolu semblait avoir présidé à la construction de cette ville qui, vraisemblablement, n’avait pas son homologue dans toutes les galaxies. Du moins pendant le cours de l’expérience.

     Si certains quartiers apparaissaient semblables à ces amoncellements de buildings abondant sur la Terre, d’autres offraient un mélange affolant de styles, évoquant aussi bien le gothique que l’oriental, le centaurien que l’andromédien.

     Palais fous, tours échevelées, flèches irradiantes, coupoles aliénées, forteresses bondissant à l’assaut du ciel, cathédrales de cauchemar, cirques si vastes que des flottes entières y croisaient sur des naumachies sans mesure, galeries translucides capables d’abriter des Himalayas, villas de fantaisie furieuse dressant des clochetons comme mille pagodes, usines infernales où des hauts fourneaux plus puissants que cent volcans voisinaient avec des forges où s’apprêtaient des planètes synthétiques, tout cela s’offrait à l’œil satisfait du monarque Yao’K, aux yeux de ses hôtes effarés et silencieux.

     La tour de contrôle, placée un peu en-dehors, était disposée avec un panoramique qui permettait d’embrasser l’ensemble, de jouir totalement de l’incroyable coup d’œil.

     Yao’K palpait des boutons, jetait des ordres dans des interphones.

     – Incendie zone KB …

     – Supprimez !

     Les invités voyaient, en effet, un incendie gigantesque, dévastant toute une zone de la cité. Des murs de cinq cents mètres croulaient dans des tourbillons de feu.

     À l’ordre de Yao’K « supprimez », il n’y eut plus d’incendie, mais on vit, à la place, s’étendre un lac où couraient des dauphins ailés de la taille d’une baleine adulte.

     Un tremblement de terre se produisait de toute évidence dans une autre partie de la ville, et on voyait les temples affolants et les demeures hallucinantes, aux parois couvertes d’yeux vivants, qui oscillaient sur leurs bases.

     – Séisme au point mort, ordonna Yao’K.

     Tout rentra immédiatement dans l’ordre. Les lézardes provoquées par le phénomène se colmatèrent, sauf une tour ronde dont le sommet était si élevé qu’on ne pouvait le distinguer, et dont les parois s’ensanglantaient.

De véritables torrents rouges coulaient le long de ses flancs, tandis que des femmes enrobées de voiles transparents évoluaient alentour.

     Des dragons crachant du feu se jetaient sur des trains monorails atteignant des vitesses inconnues, lesquels couraient sur des rails en spirale formant un labyrinthe où les convois se croisaient en se superposant.

     Le firmament d’Eo était strié d’astronefs à tête humaine, d’oiseaux multi-ailés, de mains griffues et saignantes, si vastes qu’elles pouvaient broyer des flottes spatiales entières, et tout cela était traversé d’un quadruple arc-en-ciel dont les tons n’avaient d’égal dans aucune planète connue.

     Dans ce chaos mirifique et atroce, un monde humain s’agitait.

     On reconnaissait surtout les créatures de la Terre et de ses planètes-sœurs. Tous et toutes allaient et venaient dans un désordre parfait, au milieu de ces constructions aberrantes, de ces bouleversements horrifiques.

     Certains atteignaient des dimensions considérables, ou offraient au regard des monstruosités répugnantes.

     Mais quelques femmes atteignaient un degré de beauté jamais égalé par les plus jolies et les plus gracieuses filles de la Terre. Il est vrai qu’elles semblaient bien peu stables dans leur splendeur et que certaines se déformaient, perdaient leur charme d’un seul coup, tombant en poussière, se réduisant à l’état de squelette, ou se perdant tels des fantômes timides.

     Yao’K se tournait vers ses invités, leur montrait tout cela.

     Il annonçait ce qui allait se passer ou, quelquefois, il disait qu’il laissait le champ libre à l’élément moteur. Si bien que lui-même conservait le plaisir de la surprise, devant l’effet obtenu.

     Un interphone tinta. Yao’K se pencha, échangea un bref dialogue en langue éonienne.

     Aimable, il se tourna vers ceux qu’il s’obstinait à nommer ses hôtes.

     – Vous allez voir passer un astronef. Un des nôtres. Un vrai. Il n’a rien d’onirique. Il vient d’un grand voyage circumgalactique et son chargement est précieux au possible.

     Ses lèvres que le sang si particulier montraient comme un double trait bleu foncé souriaient, en un rictus qui faisait mal et ses yeux blancs ne parvenaient pas à refléter sa joie.

     – Un chargement de drogue, Mademoiselle, Messieurs. Il y a de tout. De chez vous, les Terriens, plusieurs tonnes de pavot, dont les alcaloïdes donneront les formes classiques, opium, morphine, héroïne, penthotal, et du sxix de Cassiopée, du ahw des planètes d’Orion, de l’ingootu venu de la Balance et des nuages vénéneux de Deneb, capables de rendre folle la population d’une ville entière.

     L’astronef parut, en effet, venant du subespace, émergeant dans la fantastique cité. Bien reconnaissable à ses globes multiples, il était semblable à celui qui avait amené sur Eo les rescapés de l’H.-S. 22. D’ailleurs, c’était le type classique utilisé par le peuple de Yao’K.

     Le monarque parut surpris de voir les visages figés des Terriens.

     – N’appréciez-vous pas ? Le commissaire Muscat prit la parole, rompant le silence des siens pour la première fois.

     – Sire Yao’K, tout cela est très joli. Mais il me semble que vous ne mesurez guère les conséquences…

     – Comment, Commissaire ? Mais mes expériences…

     – Vos expériences… Nous vous avons déjà dit ce que nous en pensions. Vous voyez cela de haut, vous agissez sur des êtres, en jouant avec des univers factices. Leur souffrance…

     Yao’K l’interrompit d’un geste de sa main bleue où les lignes s’inscrivaient comme des traits d’encre.

     – Leur souffrance. Vous n’avez que ce mot à la bouche.

     – Nous sommes des hommes.

     – Nous aussi, dans la Galaxie Rouge.

     – Il me semble toutefois que votre sensibilité est bien différente de la nôtre. Peu vous importe l’état dans lequel vous allez mettre vos victimes.

     Yao’K eut un petit rire.

     – Que de paroles inutiles ! Je ne suis pas un conquérant barbare. Je veux dominer. Je n’envoie pas des astronefs de combat, je ne déchaîne pas, à travers le cosmos, des machines formidables, je ne crée par des orages magnétiques capables de détruire une planète en quelques minutes. Je ne… mais à quoi bon ? Vous le savez, et je vous le prouve, je n’agis sur les êtres que par les êtres. Je prends les rêves des uns pour en faire les mirages des autres.

     – Mais, avec ce procédé, non seulement vous détruisez les âmes de ceux que vous nommez votre élément moteur, mais ensuite vous dévastez des cités, des planètes, des mondes.

     – Il me plaît de commander, Commissaire Muscat. Je m’étonne qu’un cerveau de votre qualité…

     – Trêve de banalités, Sire Yao’K. J’essaye de vous faire toucher du doigt ce qu’il y a de monstrueux dans vos agissements, mais nous ne parlons pas le même langage.

     Yao’K se tut un instant, puis demanda, tandis que l’astronef aux globes multiples, chargés de tous les poisons du cosmos, allait se poser du côté de l’astroport d’Eo, l’astroport vrai, mais qui apparaissait comme un domaine horrifique, eu égard aux projections oniriques qui lui donnaient, comme à toute la capitale, cet aspect démentiel.

     – Vos amis sont de votre avis ? Le chevalier Coqdor ? Le professeur Grasel ?

     – Oui. Et Mlle Ginella. Et le Dr Sweet et le Dr Dormann. Et si vous les interrogiez, le pauvre commandant Wlamm et tous ceux, malades, infirmiers, cosmatelots, survivant dans vos geôles après la catastrophe de l’H.-S. 22. Me direz-vous que ce fut seulement un mirage ?

     Yao’K secoua la tête.

     – J’avoue que j’ai déséquilibré l’hôpital-satellite, j’ai fait sauter un cosmaviso, mais justement en agissant sur leurs pilotes, leurs techniciens, en leur suggérant des visions fausses. Je reste fidèle à mes procédés. Mais, réellement, aucun d’entre vous n’est convaincu ?

     – Nous sommes convaincus de votre science et de votre puissance, Sire Yao’K, dit lentement Coqdor, lequel avait eu la faveur de garder Râx près de lui. Seulement, nous tentons de vous faire comprendre que l’homme, fût-il comme vous d’une autre race que la nôtre, a le devoir, dans tout l’univers, de s’orienter… autrement que vous ne le faites…

     Il eut un sourire pâle en disant ces mots. Il avait bien compris que les valeurs du bien et du mal semblaient échapper à ce pontife technocrate.

     Yao’K eut un geste de net découragement.

     – Ainsi… je vous ai montré tant de choses…

     – Les rêves de vos victimes. Avec votre astronef maudit, avec toutes ces drogues, vous empoisonnerez vos cobayes, vous leur ferez créer d’autres mondes plus fantastiques encore, en puisant dans l’insondable mystère de l’esprit de l’homme, qui enregistre tout, fidèlement, secrètement, et restitue tout dans le rêve, en formes inimaginables. Et après ?

     – Après ?

     Yao’K se leva, montra, de sa main bleue, des visions plus effarantes encore qui se levaient autour de la tour de contrôle.

     – Regardez donc.

     Mais Ginella secouait la tête et se cachait le visage contre l’épaule de Ben. Les hommes, eux, demeuraient silencieux, mornes.

     – Vous ne comprenez pas, fit Yao’K, découragé. Je vous offre un spectacle jamais vu par les yeux humains.

     – Sauf les malheureux de la planète Titania, et tous ceux de l’H.-S. 22. Morts ou vivants, encore à peu près lucides ou totalement fous. Sans compter « l’élément moteur » et ces pauvres gens vidés de leur esprit, qui ne sont plus que corps biologiques et rien d’autre.

     Yao’K avait visiblement la tentation de discuter. Il se reprit :

     – C’est bien. Je vous avoue ma déception. Je vous prenais pour des Terriens d’élite, après votre comportement depuis que j’ai capturé l’H.-S. 22. Je pensais que vous collaboreriez avec moi.

     – N’y songez pas, coupa Axel Sweet.

     Yao’K n’insista plus.

     Il jeta un ordre et toute la fantasmagorie disparut du panoramique de la tour de contrôle.

     On put voir alors très précisément la ville d’Eo, avec ses maisons en forme de globes, les coupoles abondantes, les usines et palais surélevés mais tous, eux aussi, faits de cercles et de sphères.

     Yao’K salua ses invités et donna l’ordre de les reconduire à ce que le commissaire Muscat avait appelé des geôles et qui, en réalité, comportait des appartements très confortables, mais un peu bizarres, et où, comme partout chez les êtres bleus, cercles et globes dominaient.

     Accablés, ils se retrouvaient ensemble, ayant été séparés des autres, après avoir appris que le commandant Wlamm semblait, à son tour, avoir perdu la raison.

     Ils parlèrent un instant, encore sous l’impression de ce spectacle de magnificence et d’épouvante.

     – Comment sortirons-nous d’ici ? murmura Ben en regardant Ginella avec une tendresse désespérée.

     – Comment retournerons-nous sur la Terre ? dit Axel, en fourrageant dans ses cheveux roux.

     – Comment vaincrons-nous les hommes bleus de cette damnée Galaxie Rouge ? ragea Robin Muscat.

     Râx, comme s’il partageait leurs opinions, siffla de colère.

     Le professeur Grasel ne dit rien. Il cherchait une solution.

     Le chevalier Coqdor leva la tête et ses yeux verts étincelaient.

     – Nous les vaincrons, dit-il. C’est possible.

     – Et comment ? Comment ? cria le professeur.

     Le chevalier de la Terre eut un étrange sourire.

     – Par le moyen le plus simple qui soit. Nous vaincrons Yao’K et les êtres bleus par leurs propres armes

    

      

 

      

      

 CHAPITRE X

 

      

     Ils se regardaient, les yeux dans les yeux, debout l’un près de l’autre, les mains jointes derrière la nuque du partenaire.

     Ils ne se souriaient pas, parce qu’ils n’en avaient plus le courage.

     Ils essayaient, avant l’horreur qui les attendait, de se perdre l’un dans l’autre, de plonger au fond de leurs âmes, de s’unir à jamais, étroitement, au nom de leur amour unique.

     – Nous quitter…

     – Dieu du cosmos !… Est-ce possible ?

     – Nous ne mourrons pas, tu sais.

     – Je sais, mon amour. Nous vivrons. Mais ce sera pis que la mort.

     – Vivre sans toi !

     – Nous serons l’un près de l’autre.

     – Oui, mais nous ne nous verrons pas, nous ne nous connaîtrons plus.

     – Tu seras là, et je ne saurai pas que tu es là.

     – Je ne rêverai plus de toi.

     Après ce dernier mot, ils se turent.

     Un frisson les parcourait. Ne plus rêver de celle ou de celui qu’on aime, n’est-ce pas la fin de l’amour ?

     Ben et Ginella se tenaient dans une salle circulaire, dont le plafond était arrondi en forme de dôme total, si bien que la pièce avait la forme d’une demi-sphère.

     Les sièges, les meubles, les lits, tout était rond, circulaire, globoïde, selon la norme de la planète Eo, de la constellation Um’k dans la Galaxie Rouge.

     Cela en devenait obsédant, tous ces objets arrondis, toutes ces lignes circulaires. Les êtres bleus semblaient haïr la ligne droite et on voyait bien qu’ils l’escamotaient, qu’ils ne l’utilisaient que le moins possible.

     Ben et Ginella se souciaient peu de la ligne droite ou de la ligne courbe.

     Ils avaient eu encore une conversation avec Robin Muscat, le chevalier, le professeur Grasel et leur ami le Dr Sweet.

     Une fois le jour, le long jour d’Eo, on leur permettait de se réunir.

     Yao’K les traitait bien. Il leur affirmait qu’il n’avait rien d’un barbare et on devait reconnaître que la civilisation des êtres bleus était techniquement avancée.

     Mais Yao’K avait espéré que ces Terriens qu’il considérait comme représentant une certaine élite intellectuelle collaboreraient avec lui et l’aideraient, offrant leurs cerveaux, leur imagination disciplinée ou non, leurs rêves…

     Les êtres bleus, c’était évident, offraient biologiquement moins de possibilités que les humanoïdes du Martervénux et, en général, de la Voie Lactée tout entière. Certes, beaucoup avaient dû servir aux expériences, mais leur sensibilité moindre ne permettait pas les réalisations formidables nées des rêves de ceux de la Terre et des planètes-sœurs. Les êtres bleus étaient des réalistes, évolués, mais dénués de sens poétique. Si bien qu’ils n’offraient que des rêves médiocres, aux effets réduits, sans valeur.

     Maintenant, on le savait, c’était en utilisant les phantasmes cérébraux de ceux qu’il se refusait à appeler esclaves que Yao’K avait réussi à créer les hallucinations formidables qui avaient provoqué la perte de Titania et, à un degré moindre, la destruction de vaisseaux spatiaux dont il perturbait cérébralement les pilotes et les membres de l’équipage.

     À distance, il avait « vidé » les esprits des malheureux pensionnaires de l’H.-S. 22, ses sondages et ses espions lui ayant prouvé que ces humains ainsi exposés en plein espace avaient une imagination féconde. Que lui importait les morts, les blessés, ceux qui resteraient infirmes (s’ils survivaient). Il gardait à Eo une trentaine de personnes, dont plusieurs femmes, dont le commandant Wlamm. Physiquement indemnes, outre quelques autres encore mal en point.

     Et tous, selon les mystérieux procédés employés par les êtres bleus, avaient engendré, bien contre leur gré, la cité fantastique que Yao’K avait fait se superposer sur Eo, Eo la sphérique, Eo la ronde, cela pour l’édification de ses prisonniers d’élite.

     Ils avaient été avertis, par la suite. Puisqu’ils refusaient avec indignation de fournir la matière de leurs rêves, puisqu’ils ne voulaient pas « imaginer » de plein gré pour arriver à la domination cosmique par l’action onirique projetée que souhaitait Yao’K, ce dernier avait le grand regret de leur faire savoir qu’il se servirait quand même de leurs cerveaux.

     Ben et Ginella savaient qu’on allait venir les chercher, qu’on les séparerait, non physiquement peut-être, mais psychiquement, et qu’en dépit des assertions hypocrites de l’immonde Yao’K et de ce peuple insensible qui était celui des êtres bleus, ils allaient devenir de ces pauvres gens aux yeux vides qu’ils n’avaient que trop bien connus, se désespérant de ne pouvoir parvenir à les soigner, à les guérir.

     On les avait autorisés à demeurer ensemble. Ils savaient que, dans des salles voisines, tout aussi sphériques que la leur, et disposées naturellement en rotonde, Grasel, Sweet, Muscat, puis Coqdor flanqué de Râx, allaient subir le même sort.

     Visiblement, Yao’K ne voyait pas ce qu’il y avait de monstrueux, de contre nature, dans son action. Il poursuivait un but. Il marchait vers ce but. Il s’étonnait de leur refus, mais passait outre.

     – Ben… Ben… nos pauvres compagnons… les infirmières, comme moi… Et les malades… et les cosmatelots… ils n’ont plus de pensée, ils ne rêvent plus… Ce que nous avons vu, cette ville de démence, cette ville d’épouvante et de splendeur, c’était avec leurs crânes que Yao’K la construisait, comme un enfant qui joue avec un jeu de construction, ou quelque puzzle de fou. Et c’était horrifique, et affolant et… mais je pense à eux…

     Elle évoqua les yeux vides, les faces sans expression, de tous ceux qu’elle avait connus, soignés, estimés, sur l’H.-S. 22, et se voila le visage.

     Ben la serrait dans ses bras, tentait de la réconforter.

     – Je t’aime, Ginella… quoi qu’il puisse advenir, sache que je t’aime.

     – Je t’aime, Ben. Mais nous sommes dans un autre univers. Peu importe la distance, et les formidables gouffres qui nous séparent de notre galaxie, de notre monde. Nous serions heureux n’importe où dans le cosmos. Mais je ne serai plus Ginella. Tu ne seras plus Ben.

     – Parce que nous n’aurons plus de cerveau. Nous serons plus que fous, comme tous nos pauvres amis. Mais je me refuse à croire que ce que je ressens dans mon cœur puisse s’éteindre. Je ne t’aime pas en pensée, Ginella, et pas seulement non plus dans ma chair. Je t’aime. Mais peut-on exprimer cela ? Au-delà de mon raisonnement… de ce qui me fait moi, biologiquement. Et cela ne peut mourir.

     – Ben… Ben… Grasel nous l’a dit souvent : qu’est l’homme sans la mémoire ? Divine faculté qui fait la personnalité. Sans le phénomène-mémoire, nous ne sommes plus. Nous oublions. L’accumulation prodigieuse des sensations enfermées dans les neurones forment notre tout, notre moi.

     – Ginella… l’homme ne peut pas oublier d’aimer.

     Ainsi ils parlaient, parlaient. Ils parlaient de leur amour qu’ils voulaient voir survivre à l’affreux supplice qui les attendait, à cet arrachement du moi auquel les êtres bleus prétendaient procéder.

     Ils s’étaient de nouveau étendus sur le lit circulaire et, l’un près de l’autre, les mains unies, ils attendaient. Ils ne pouvaient rien faire contre un destin aussi épouvantable.

     – Ben… tu as encore mal à la tête ?

     – Un peu… Oh ! ce n’est rien…

     Il n’osa achever la phrase mais elle le fit et murmura :

     – … Rien auprès de ce qui nous attend.

     Ils avaient dormi, et Ben s’était éveillé avec une curieuse migraine. Ce mal bénin ne lui arrivait jamais. Il s’en moquait, il est vrai, tout à Ginella, Ginella qu’il allait perdre si vraiment il parvenait à l’oublier sous l’influence des machines diaboliques de la Galaxie Rouge.

     Vint le moment où il fallut sortir de la salle sphérique.

     Des êtres bleus, des deux sexes, firent leur apparition.

     Ils souriaient, mais ces sourires, contrastant avec les abominables orbites où oscillaient les globes blancs, étaient hideux à voir.

     On leur parlait en dialecte éo, qu’ils ne comprenaient pas ; seuls Yao’K et quelques dignitaires connaissant le spalax, la langue utilisée à peu près partout dans la Voie Lactée.

     Mais les choses n’avaient plus d’importance, puisqu’ils allaient mourir, mourir en pensée.

     Sur le palier rond où s’ouvraient les diverses portes, en demi-lunes, de la rotonde, ils trouvèrent, encadré par deux hommes et deux femmes bleus, le Dr Axel Sweet, leur bon camarade.

     Le rouquin leur adressa un sourire triste.

     – Il paraît que c’est l’heure… pour nous trois.

     – Nous trois seulement ? Le professeur, le commissaire, le chevalier ?

     – Le seigneur Yao’K doit les réserver pour une autre occasion. Je m’efforce de piger le sens de certains de leurs mots et j’ai cru comprendre cela.

     On leur indiquait par gestes ce qu’ils ne comprenaient pas auditivement et le cortège se mit en route, dans une galerie à la voûte arrondie, où un tapis roulant les emmenait tous silencieusement.

     Les trois jeunes gens échangeaient encore quelques mots, et nul ne s’y opposait parmi les êtres bleus.

     Axel avait beaucoup réfléchi aux procédés de Yao’K et compagnie.

     – Il capte les rêves. Comment ? Sans doute, suis-je amené à croire, en matérialisant les ondes courtes émises (on le sait depuis longtemps) par le cerveau humain. Il les photographie, les filme, les enregistre, puis les retransmet. C’est du cinéma, en hyperscope. Tout y est : ligne, couleur, relief. À l’état de veille, nul scénariste n’inventerait ce que chacun d’entre nous fabrique à l’état de sommeil. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Seulement, si Yao’K agit pendant qu’on dort, il arrive à vider la pensée, à réduire l’homme à cet état de larve que nous n’avons que trop souvent constaté sur l’H.-S. 22.

     – As-tu une idée, demanda Ben Dormann, du procédé employé ?

     – Non, je l’avoue. Les êtres bleus sont forts, techniquement.

     – Dommage, fit Ben, qu’ils n’aient aucune sensibilité.

     Il y eut un silence. Le tapis roulant les emportait toujours, mais la galerie tournait sans cesse et ils ne savaient plus où ils étaient.

     Ginella regretta de n’avoir pu, une dernière fois, prendre congé du « patron », le professeur Grasel, et des deux héros de l’espace, Muscat et Coqdor, qui s’étaient dévoués pour les malheureux de l’H.-S. 22.

     Ben prononça soudain :

     – Crois-tu, Axel, que les êtres bleus nous comprennent ?

     – En principe, non. Seuls, Yao’K et deux ou trois types parlent le spalax de chez nous.

     Il sourit malgré lui en disant cela. « Chez nous », c’était la lointaine Voie Lactée, large de cent mille années de lumière.

     Ben reprit :

     – Le chevalier Coqdor, une fois, nous a dit : nous les vaincrons avec leurs propres armes. Il a refusé, par la suite, de s’expliquer là-dessus. Qu’en penses-tu ?

     – Coqdor est un homme exceptionnel. Il avait une idée, mais il devait la creuser, la mettre au point. Je suis sûr qu’à son ami Muscat lui-même il n’a pas dit toute la vérité.

     Ginella murmura :

     – Je vous en prie… Taisez-vous. Ils nous écoutent.

     Le jeune médecin roux eut un geste de mauvaise humeur.

     – Eh ! qu’importe. Nous sommes comme des condamnés menés au bûcher de l’inquisition, ou à la guillotine des révolutionnaires. Des innocents voués au supplice. Et le nôtre sera de…

     Il regarda Ginella et se tut.

     Ben, du regard, le remercia de ne pas insister. Il attira la jeune fille contre lui, mesurant les dernières minutes qu’il lui était donné de la garder ainsi.

     On arrivait.

    Une salle immense, un hémisphère géant, de trois cents mètres de diamètre.

     Des machines inconnues, autour desquelles s’affairaient les êtres bleus en foule.

     Au centre, une sorte d’estrade, ou d’autel, fait de disques superposés en dimensions dégradées, supportant une curieuse série de globes atteignant à peu près hauteur d’homme, et posés chacun sur un cylindre servant de socle.

     On comptait une cinquantaine de ces globes. Tout d’abord, les trois jeunes gens, avançant entre leurs gardiens, purent croire qu’il s’agissait véritablement d’un autel d’un genre inédit, voué à quelque divinité adorée à Eo.

     C’eût été mal connaître les êtres bleus, dénués de toute idée métaphysique. Rien chez eux n’existait qui ne fût utilitaire.

     Ils virent donc que ces globes étaient reliés aux innombrables machines, dont le sens leur échappait, par des fils multiples, et que tout cela représentait une formidable application électrodynamique.

     Ce qu’il y avait dans les globes, tous translucides, était difficile à préciser.

     Un liquide ? Un gaz ? Un fluide inconnu ? Des formes perpétuellement mouvantes s’y trouvaient, les emplissant totalement. Tout était très différencié et c’était une gamme infinie de choses inconnues.

     Ginella, Ben et Axel arrivaient, d’un pas un peu raide, décomposés par l’horreur de leur situation, le cœur affreusement serré.

     Devant eux, ils reconnaissaient Yao’K et plusieurs de ses principaux collaborateurs.

     Le pontife d’Eo les accueillit avec son affreux sourire, mais ils ne songeaient pas à répondre à son salut.

     – Soyez les bienvenus, fit-il.

     L’ironie involontaire glaça les trois jeunes gens, mais ils ne bronchèrent pas.

     Ils regardaient, effarés, cette étrange installation. Leurs oreilles bourdonnaient du grondement de cette usine fantastique, dont ils ne parvenaient pas à comprendre le but.

     Yao’K leur en fit les honneurs.

     Ils virent les émetteurs-capteurs, antennes en forme de boules, qui irradiaient à travers le cosmos, sans limitation de distance et qui, à un certain moment, atteignaient un être humain, sur telle ou telle planète, ou à bord d’un astronef.

     Des contrôles indiquaient son potentiel imaginatif. S’il s’avérait satisfaisant, on l’utilisait, c’est-à-dire qu’on aspirait sa pensée, sans préjudice de le réduire à l’état de larve.

     Ils virent, avec quelle pitié, quelle détresse, les sphères où les captifs constituant ce que Yao’K appelait l’« élément moteur » étaient enfermés, suspendus horizontalement par des ondes de force.

     Ceux-là, alimentés par des sondes, dormaient sous l’influence des drogues venues de tous les points de toutes les galaxies. On les injectait lentement, parcimonieusement, pour observer les réactions, et Yao’K affirmait que les songes ainsi obtenus étaient parmi les plus formidables, et qu’il en avait donné quelques échantillons à ses hôtes lorsqu’il leur avait montré la transfiguration d’Eo la ronde en une cité de cauchemar.

     On leur fit les honneurs des machines, de ces vampires mécaniques qui, utilisant et domestiquant l’onde, matériau de base de l’action de Yao’K à travers le cosmos, dévalisaient les cerveaux, de préférence ceux des Terriens, jugés parfaitement convenables eu égard à leur grande sensibilité souvent maladive, et inconnue dans la Galaxie Rouge.

     On les ramena enfin vers l’étrange autel central.

     Le pontife bleu tourna vers eux ses yeux de statue morte.

     – Mademoiselle Ginella, Docteur Dormann, Docteur Sweet, regardez ces globes. Examinez-les avec attention !

     Ils montèrent les marches circulaires, ils furent près des énormes sphères, dont l’aspect les charmait et les terrorisait à la fois.

     – Regardez… ce qu’ils contiennent…

     Et les trois jeunes gens, les yeux écarquillés, regardaient.

     Et ils comprenaient.

     Ginella se serrait plus que jamais contre Ben, et Axel râlait, résumant la réalité :

     – Des rêves ! Ils contiennent les rêves que vous avez volés dans les cerveaux de nos pauvres coplanétriotes…

    

      

 

      

      

 CHAPITRE XI

 

      

     Et c’était tellement extraordinaire, tellement stupéfiant que, en dépit de la tragique situation qui était la leur, les trois jeunes gens ne purent faire autrement que de se pencher sur cette prodigieuse réalisation technique qui unissait le psychisme au mécanisme.

     Cinéma absolu, oui certes, mais, dans les sphères disposées en un cercle immense, les images demeuraient le plus souvent floues, imprécises, incroyablement variables.

     Pourtant, par instants, un cliché se détachait, s’isolait d’un contexte embrouillé et, fugace et nette, une vision s’imposait, semblable à ces pensées précises et incroyablement rapides qui s’inscrivent dans les esprits des dormeurs.

     Yao’K voyait bien que, chez ses hôtes forcés, la curiosité et l’intérêt scientifique l’emportaient sur la répulsion.

     Voir les songes d’autrui, c’était sans doute, pour des Terriens, une sensation inédite, et l’être bleu avait l’étrange satisfaction de savourer son triomphe.

     Il savait envoûter une ville, une planète, avec des leurres, des phénomènes inexistants, mais terriblement convaincants et, d’autre part, il constatait que ces trois jeunes esprits, à la formation scientifique et médicale, s’émerveillaient malgré eux devant ce qu’il leur montrait et que, déjà, tout naturellement, surtout les deux médecins, ils devaient chercher par quel moyen mécanique on pouvait ainsi extirper les rêves des cerveaux, même à d’incommensurables distances, pour les projeter en cinéma tridimensionnel dans ces récipients transparents.

     Yao’K faisait les honneurs de ce qu’il nommait « le plus curieux musée du cosmos ».

     Cependant, prudent malgré tout, il avait donné des ordres, et l’escorte des êtres bleus accompagnait toujours le trio qui marchait aux côtés du pontife de la Galaxie Rouge.

     – Voyez, disait-il, ces coloris dominants dans certaines sphères. Nous avons été amenés à observer qu’il s’agissait du reflet du caractère particulier à chaque sujet. Ces dominantes ne sont pas absolument constantes, cependant elles reviennent à intervalles irréguliers, mais, en général, fréquents. Il faut dire que chaque film — car c’est bien ce que vous appelez des films — a été réalisé à un moment donné. Il s’agit donc d’une séquence de la vie du sujet, de la vedette qui se trouve être en même temps le scénariste et le metteur en scène.

     Ginella, Ben et Axel se taisaient.

     Yao’K ne manquait pas d’un humour singulier, mais sans doute avait-il raison.

     Ce réaliste ne se laissait pas éblouir par sa propre science, par l’incomparable travail de ses collaborateurs. Il n’en voyait que le côté pratique, clinique, et observait ces projections de la pensée humaine avec une sérénité froide de praticien.

     Il expliqua que les globes où le rouge dominait contenaient des films « tournés » chez des sujets en proie à la colère, au tempérament bouillant, sanguin.

     Les séquences très mouvantes, striées d’éclairs blêmes, dans des tourbillons de grisaille ou de flaques livides, appartenaient aux plus désespérés des malheureux venant, soit de l’H.-S. 22, soit d’autres rapts opérés par les êtres d’Eo dans diverses planètes de la Voie Lactée.

     Ginella et les deux jeunes médecins découvrirent les tourments visuels inspirés par les rêves érotiques, les clichés fulgurants des ambitieux, la rage rouge et noire des uns et les bleus et les ors, assez brefs ceux-là, de ceux qui gardaient un certain optimisme et pensaient échapper, d’une façon ou d’une autre, au sort redoutable des captifs de la Galaxie Rouge.

     Images allant du sublime à l’obscène, clichés poétiques ou abscons, séquences montrant un défilé surréaliste des rêves d’imprécision, gouffres indescriptibles, glaçant le cœur de ceux qui regardaient, et qui correspondaient à ces coupures de pensées, à ces instants rapides où l’homme tombe dans un abîme de néant, reprise démente des films surimpressionnés, dix, vingt, cent fois, de ceux qui n’arrivent pas à fixer une idée, tout cela défilait autour de Ginella et des deux médecins, qui avançaient lentement aux côtés de Yao’K, flanqués de leurs gardes du corps des deux sexes, aux visages immuablement bleutés, hideux avec leurs yeux blancs.

     Yao’K demeurait un guide précis, mesuré. Un Terrien, en la circonstance, se fût mué en speaker lyrique.

     Mais un tel caractère n’existait pas chez les êtres bleus et le pontife de la planète Eo demeurait égal à lui-même, un clinicien non dénué de cynisme.

     – Je vais vous montrer, dit-il, après leur avoir expliqué le sens d’une vingtaine de sphères, un cas particulièrement intéressant. Nous avons également réussi à filmer (techniquement, il n’y a pas de différence sensible) des rêves d’origine animale.

     Il lut, sur les visages des Terriens, le haut intérêt que suscitait une telle annonce et, avec un sourire assez laid, et que Ginella détestait, il montra un autre globe.

     Silencieux, l’infirmière et les médecins regardèrent.

     Là, point de conglomérat, d’éclairs tourmentés, de surimpressions multiples. Et cela s’expliquait, le cerveau de la bête se contentant d’enregistrer les impressions instantanées, possédant une mémoire certaine, mais demeurant incapable de réflexion.

     L’ensemble était gris, assez terne. Par contre, les clichés y apparaissaient avec une netteté ignorée dans la majorité des cerveaux humains, Ben s’écria :

     – Mais je vois… un humain… un homme…

     – Et c’est le chevalier Coqdor.

     – Oui… Mais avec des ailes de chauve-souris…

     – Je comprends, dit Axel. Cet esprit, c’est celui de Râx, n’est-ce pas ?

     Yao’K approuva d’un signe de tête, et ajouta :

     – Très bien, Docteur. Vous avez compris tout de suite.

     – L’animal rêve de son maître, sujet numéro un, quasi unique, de ses pensées. Il ne s’embrouille pas, ne s’emberlificote pas dans un torrent d’images, séquelles de toute une vie, comme les hommes qui n’arrivent pas, le plus souvent, à chasser leurs souvenirs. Et, cela c’est fou, mais après tout, je crois que c’est logique, l’animal, Râx le pstôr en la circonstance, voit son maître à son niveau, comme un autre lui-même. Le visage familier et aimé transparaît, mais le corps, moins intéressant, il l’assimile à sa propre nature.

     – Je crois que tu as raison, dit Ben. Pour un toutou familier, le maître est un autre toutou, supérieur évidemment, mais de sa race.

     Un être bleu approchait de Yao’K et lui disait quelques mots.

     Le pontife se tourna vers les jeunes gens.

     – Je suis désolé de ne pas poursuivre notre exploration, mais on me rappelle que tout est prêt pour la prochaine expérience.

     Un frisson glacé passa sur le trio des Terriens.

    Ginella tremblait légèrement. Axel serrait les poings. Ben, livide, mais résolu, les yeux flamboyant de colère, regarda Yao’K en face.

     Il s’exaspérait de ne pouvoir accrocher ce regard, lui échappant totalement, avec ses globes blancs qui roulaient dans les orbites.

     – Seigneur Yao’K, je sais que vous me voyez. Vous prétendez, ce me semble, nous enfermer horizontalement dans ces autres sphères que nous avons observées, et où vous détenez ce que vous nommez votre « matériau de base »…

     – Exactement. Vous savez d’ailleurs que toute résistance est inutile…

     Ben hésita, bondit soudain sur Yao’K et hurla de rage, tandis que Ginella se sentait au bord de l’évanouissement.

     Les gardes bleus s’étaient jetés sur lui, avec ensemble et précision, et l’immobilisaient, ainsi qu’Axel.

     Yao’K était impassible.

     – J’attendais cette réaction, dit-il simplement. Vos rêves seront fort intéressants à filmer, Docteur Dormann, ainsi d’ailleurs que ceux de mademoiselle. Quant à vous, Docteur Sweet… Mais, avant d’aller plus loin, je désire vous montrer autre chose… Oh ! c’est simple… Seulement vous démontrer que, à un certain moment, vous serez tellement satisfaits de mes agissements, qui vous semblent criminels, que vous me remercierez à genoux de mes bienfaits.

     Les jeunes gens se taisaient, horrifiés, exaspérés, et ne comprenant goutte aux assertions de leur ennemi.

     Tandis que les gardes maintenaient solidement les deux jeunes médecins et que deux filles bleues, petites, mais vigoureuses, se chargeaient de Ginella, Yao’K traversait le grand cercle des sphères formant les écrans totaux de ces films incomparables et tendait son doigt bleuté vers un des énormes bocaux, du côté non encore visité.

     – Observez bien, Mademoiselle Ginella, et vous, Docteur Dormann. Docteur Sweet, c’est à vous que je m’adresse. Regardez bien cette séquence. Toujours la même. Elle ne dure qu’une minute et demie et nous la repassons sur un mode permanent. Docteur Sweet… mieux, et pour cause, que vos amis, vous allez pouvoir comprendre la signification de ce film.

     Comme la majorité des sphères, cette dernière montrait des images fugaces, très rapides, très embrouillées, mais parcourues de lueurs qui, en dépit de leur brièveté, indiquaient un esprit élevé, lancé vers un idéal certainement très raffiné.

     De grandes flaques d’azur se manifestaient et, soudain, une forme humaine apparut, se précisa, augmenta d’intensité lumineuse jusqu’à devenir insoutenable au regard, ou presque.

     Les lignes se précisèrent à très vive allure et une femme parut.

     À ce moment, il se produisit ce que le cinéma fantastique d’Eo n’avait pas encore montré aux Terriens.

     Le film s’arrêta.

     Sur cette image précise.

     Éblouis, Ben et Ginella regardaient.

     Axel Sweet exhalait un râle où s’inscrivaient la plus grande des stupéfactions et aussi la plus grande des joies.

     Cette femme était si belle que, sans doute, sa pareille n’existait nulle part dans le cosmos. Drapée dans une tunique fulgurante, dont on n’aurait pu déterminer le véritable ton, elle se dressait, souriante, triomphante, et la lumière de son regard, la perfection des lignes de son corps, que la tunique accentuait avec une sensualité de bon aloi, tout cela atteignait à l’irréel, au sublime.

     Axel Sweet, que les gardes avaient lâché sur un ordre de Yao’K, demeurait comme foudroyé.

     Mais, sur son visage, passait l’extase béate de l’homme qui atteint le sommet, qui touche à la joie d’éternité.

     Il ne voyait rien d’autre, il n’entendait plus ce que ses amis lui disaient. Il avait oublié qu’il était dans la Galaxie Rouge, à des distances effrayantes de son monde-patrie, et tout ce qui s’était passé depuis que le cosmos était le cosmos.

     Yao’K se tourna vers Ben et Ginella.

     – Voyez… Je lui montre son idéal… La femme dont tout homme rêve, du moins dans vos races où le sentiment et l’imagination dominent. Nous autres ne connaissons pas ces faiblesses. Le Dr Sweet, désormais, est un esclave. Le film stoppé sur l’image la plus parfaite produit un effet surprenant, déjà observé sur plusieurs de nos sujets. Plus rien ne peut intéresser un de vos semblables après une telle réalisation.

     – Oui, murmura Ben : voir son idéal ! Cet idéal que nous cherchons sans cesse, qui fuit même dans notre pensée…

     – Docteur Dormann, et vous, Mademoiselle, je vous accorderai les mêmes joies.

     – Non, hurla Ben, je refuse, je ne veux pas…

     Yao’K, du geste, l’arrêta.

     – Avant votre arrivée ici, n’avez-vous pas ressenti, au réveil, un léger mal de tête ?

     Ben fronça le sourcil.

     – Que signifie ?

     – Le Dr Sweet, lui aussi, a subi cette migraine sans importance. C’est que nous avons procédé à une petite expérience. Oh ! très rapide. Pendant votre sommeil, nous avons filmé votre rêve.

     – Misérable !

     – Nous avons eu la bonne fortune de capter l’idéal du Dr Sweet, et le voilà docile comme un animal dressé. Voulez-vous que je vous montre, à vous aussi, votre film personnel ?

     – Ben, cria Ginella, je ne veux pas. Au secours !

     Elle se débattait et lui pliait sous le poids de cinq êtres bleus.

     C’est alors que l’appel résonna en lui, très net, en pensée :

     – Bravo ! Résistez. Mais ce n’est pas la bonne méthode. Reconnaissez tout haut la science d’Eo. Acceptez de collaborer. Je vous guide…

     Ahuri, Ben en oublia de se débattre.

     Il recevait, comme par un transistor qui se fût logé dans son crâne, la voix très identifiable du chevalier Coqdor.

     Très vite, il pensa à ses pouvoirs supranormaux, à ses formidables possibilités télépathiques.

     – J’ai eu du mal à vous joindre, disait encore Coqdor. Faites ce que je vous dis. Vite. L’occasion est proche…

     Alors, devant Ginella effarée, désespérée, Ben secoua la tête.

     – Seigneur Yao’K, je ne suis qu’un sot. Non seulement vous et vos coplanétriotes sont de grands savants, qui n’ont d’égaux dans aucune des galaxies, mais encore vous m’offrez des possibilités telles…

     Ginella, les larmes aux yeux, vit les deux êtres, si différents de race, d’univers, qui se congratulaient.

     Axel Sweet, lui, demeurait en extase devant l’image, devant la photo unique du film arrêté dans le bocal-écran.

     Très vite, la pensée de Coqdor pénétrait le cerveau de Ben et lui dictait sa conduite.

     La table des cadrans… les semi-globes lumineux clignotants… l’arme de parade à la ceinture de Yao’K…

     Ben, souriant, disait à Ginella qu’il fallait le suivre dans cette nouvelle voie, devenir amis avec les êtres bleus, les aider dans leur tâche prodigieuse, leur fournir des rêves de Terriens, des rêves volontaires, voire sous l’impulsion de la drogue, et de les aider à conquérir le cosmos.

     – Ben… tu deviens fou…

     Ben s’approche de la table de commandes, située au centre de l’immense autel circulaire.

     Une table ronde, bien entendu, avec des fils et des commandes incroyablement compliqués, et sur laquelle se penche en permanence un petit bonhomme bleu aux gestes vifs et méthodiques, qui ne se trompe jamais, qui règle les écrans en forme de sphères et préside au déroulement des films.

    Yao’K, posément, continue ses explications et Ben écoute avec complaisance, entre dans le jeu.

     Axel Sweet, béat, regarde l’Idéale.

     Ginella sanglote.

     Coqdor, invisible, mais incroyablement présent, continue à donner ses instructions à celui qu’il tient sous son rayonnement d’ondes cérébrales.

     Ben, qui veut tromper Yao’K jusqu’au bout, lui fait observer qu’il serait bon de filmer les rêves d’enfants. Mais les enfants des êtres bleus sont aussi insensibles que leurs géniteurs. Et, à bord de l’H.-S. 22, il n’y en avait aucun de race terrienne.

     Yao’K, satisfait de voir le Dr Dormann participer aussi rapidement, assure qu’on fera le nécessaire bientôt.

     Ce ne sont pas les enfants qui manquent dans la galaxie Voie Lactée.

     Ils sont près de la table.

     Coqdor-émetteur parle à Ben-récepteur.

     Prompt comme la foudre, Ben arrache l’arme de parade du pontife.

     Une sorte de pistolet à antennes, terrible destructeur que le prudent Yao’K ne quitte guère.

     Personne n’a eu le temps de réagir. Ben a saisi l’arme et l’abat sur la table de commandes, appuyant sur la pièce indiquée par Coqdor, fermant les yeux…

     Le préposé a voulu s’interposer mais le rayonnement fulgurant l’assomme.

     La table devient incandescente, tandis que les êtres bleus, et Ben, et Yao’K, reculent, et que Ginella défaille…

     Axel Sweet, tout à son adoration, ne voit rien, ne sent rien.

     Un globe-écran se fend, puis un autre, un autre. Et toute l’usine est brusquement en révolution.

     Les films, subitement, dépassent les sphères, s’étendent, deviennent immenses, comme lorsque Yao’K métamorphosait visuellement la cité d’Eo.

     Les rêves s’échappent…

    

      

      

 

      

 CHAPITRE XII

 

      

     Coqdor souffrait.

     Robin Muscat, bien qu’il eût souvent assisté aux séances spéciales de voyance et de télépathie, voire de ce qu’on nommait l’hypnotélé, ne se sentait guère à l’aise et, de voir transpirer son vieux camarade, il sentait la sueur couler sur son échine.

     Râx, selon son habitude, poussait de petits sifflements douloureux, ce qui se produisait chaque fois que le chevalier se mettait en transes, afin d’effectuer un travail mental, qui devenait psychique, puis radionique.

     Le pstôr n’était pas très en forme, depuis le matin. Coqdor et Muscat n’avaient pas très bien compris ce qui se passait. L’animal semblait malade, asthénique. Maintenant, partageant les affres de son maître, il paraissait vraiment bien peu terrible, contrairement à son habitude.

     Seul, le professeur Grasel était de parfait sang-froid.

     En bon praticien, il gardait toujours sur lui, dans sa combinaison complexe de cosmonaute, la trousse du parfait médecin. Cette trousse, il l’avait trimbalée depuis l’orbite terrestre de l’H.-S. 22. Elle l’avait suivi à travers le subespace, jusqu’à la planète Eo de la Galaxie Rouge.

     Une seringue minuscule, une ou deux ampoules brisées, lui avaient permis de stimuler sérieusement le chevalier, de lui permettre un effort absolument surhumain.

     En effet, eu égard à la situation, Coqdor devait agir vite, très vite, et de façon efficace.

     Les trois hommes, enfermés chacun dans les salles en demi-lune-coupole, entre des murs circulaires, se retrouvaient quotidiennement, avec Ginella et les deux jeunes médecins.

     Ce matin-là, les trois juniors manquant à l’appel, les trois hommes en avaient conclu que Yao’K manigançait quelque chose.

     Comme on leur laissait, du moins dans la rotonde, une semi-liberté durant le long jour d’Eo (qu’ils ne voyaient pas, leur prison étant totalement privée de fenêtres) ils s’étaient de nouveau réunis, concertés, et il avait été convenu qu’on emploierait le seul moyen possible de savoir ce qu’il advenait de la petite infirmière et de ses deux compagnons.

     Inutile de songer à interroger les êtres bleus. Des femmes les servaient, mais elles ne parlaient pas le spalax de la Voie Lactée.

     Sonder le cerveau de l’une d’entre elles ? Naturellement le chevalier l’avait tenté.

    Mais ces créatures étaient vraiment d’un modèle humanoïde très particulier.

     Leur quasi absence de sensibilité ne permettait guère à l’esprit si subtil de Coqdor d’y pénétrer. Il avouait se perdre dans ces esprits vides, matérialistes, où rien d’imaginatif ne dominait, où tout était réduit de façon primaire à l’utile.

     D’ailleurs, l’aspect extérieur de ces êtres, le manque total de coquetterie du sexe, tout indiquait une sorte de curieuse animalité, cependant intelligente, mais pourvue de cette intelligence mécanique qui, dans d’autres galaxies, engendre plutôt les ingénieurs et les mathématiciens que les artistes ou les philosophes.

     Aussi Coqdor s’était-il élancé en pensée à la recherche de leurs jeunes amis. Il avait fini par les trouver, gêné tout de même par la foule des êtres bleus qui peuplaient ce lieu bizarre, plus usine que palais, comme tous les édifices d’Eo, qui avaient les uns et les autres un sens précis à l’exclusion des temples ou des maisons de plaisir.

     Il avait trouvé Ben, puis Ginella, puis Axel et s’était effaré des réactions de ce dernier, que subjuguait l’apparition de l’Idéale, ce qui le neutralisait totalement.

     Il parlait, faiblement, et Grasel faisait effort pour saisir les paroles du médium.

     Muscat, lui, accoutumé à suivre les expériences du chevalier, reconstituait avec assez de facilité ce qui se passait dans l’étrange musée-laboratoire où Yao’K avait fait conduire les trois jeunes gens.

     Dès que l’appel de Coqdor à Ben se fut conclu par le sabotage de l’énorme installation du voleur de rêves, Muscat brusqua les choses.

     – Coqdor… Éveillez-vous. Debout.

     Il le bouscula un peu et Râx, qui savait ce que cela signifiait, se hâta de se mettre de la partie en léchant avec conviction le visage de son maître, manège qui, en général, donnait de bons résultats et sortait assez rapidement Coqdor de son état second.

     – Que comptez-vous faire ? demanda froidement le professeur Grasel.

     – Nous évader, Professeur.

     – Et comment ?

     – La libération des rêves concentrés vont semer la panique. Il faut profiter de la situation.

     – D’accord. Que faut-il faire ?

     Le policier des étoiles était résolu.

     – Sortir d’ici. Appeler nos gardiennes, leur montrer que Coqdor est malade. Oui, vieux sorcier, restez couché. Comme ça. Ne bouge plus, Râx ! Utilisons l’interphone.

     Grasel le regardait faire.

     Coqdor, souriant un peu, faisait confiance à l’énergique commissaire de l’Interpol-Interplan.

     Muscat cria dans le micro, et deux filles bleues aux yeux blancs accoururent.

     Ce ne fut pas long, et on les neutralisa sans dommage. Encore qu’elles se défendissent avec vigueur, n’étant pas aussi sensibles que leurs homologues des autres univers.

     Mais les trois hommes eurent bientôt le dessus et Râx fut chargé de les garder, se dressant devant elles, les ailes écartées, ses yeux d’or jetant des flammes, les crocs découverts, ce qui finit tout de même par les impressionner sérieusement.

     Ensuite, on sortit par la porte, après avoir délesté les geôlières de petits pistolets qui ne les quittaient jamais, et dont on connaissait mal l’utilisation. Mais, à l’occasion, cela serait sûrement très utile.

     – Viens, Râx.

     On enferma les deux filles bleues. Les trois hommes, suivis du pstôr, qui semblait retrouver ses facultés puisqu’il sentait venir le combat, sortirent sur la rotonde.

     Là, ils se heurtèrent à trois gardes et ce fut le premier engagement.

     L’un des êtres bleus leur montra involontairement la manière de se servir des armes inconnues, brandissant la sienne et la faisant tourner, de telle façon que, les uns après les autres, les trois compagnons furent touchés par le rayon, lequel provoquait un choc engourdissant, heureusement local.

     Muscat comprit tout de suite et, ayant le bras droit neutralisé, il saisit son arme de la main gauche, envoya une bonne décharge dans les jambes de l’ennemi, tandis que Râx, d’un bond, soutenu par ses ailes, tombait en piqué sur le second garde bleu.

     Le troisième réussit à jeter à terre le professeur Grasel, d’un rayon bien expédié, mais il ne put réussir à éviter Coqdor lequel, à son tour, le frappait au plexus avec l’onde-force, bondissait sur lui et l’assommait proprement d’un uppercut de complément.

     Encore une fois, les trois êtres bleus, au sol, furent tenus en échec par Râx, qui redevenait redoutable et, bien que peu fragiles, les hommes d’Eo comprirent parfaitement que le pstôr ne leur ferait pas de quartier.

     – Le chemin ? demandait vivement le professeur.

     Coqdor s’orientait en pensée.

     – Là…, je crois…, le couloir circulaire…

     Ils s’y engagèrent, se demandant combien de temps les gardes resteraient au sol, selon ce que durait l’effet de l’arme inconnue.

     Ils en possédaient cinq, à présent, ayant naturellement désarmé leurs ennemis.

     Quand ils furent dans le couloir, sous la voûte arrondie, le sol se mit à glisser sous leurs pas.

     – Un tapis roulant…, parfait !

     – Où nous emmène-t-il ?

     – Vers le centre de cette drôle de construction. Là, en tout cas, où sont Ginella et les deux gars, et Yao’K…, et tous ces rêves en boîte que, si j’ai bien saisi l’image-pensée, Ben a réussi à libérer…

     Le tapis roulant les emmenait, curieusement, en un mouvement circulaire, puis sinusoïde.

     Rien, décidément, ne pouvait être droit sur Eo, ce qui faisait dire à Robin Muscat que cela donnait une riche idée du caractère de ses habitants.

     Coqdor, suant toujours, fermait les yeux, cherchait à agripper des bribes de clichés, pour comprendre ce qui avait bien pu se passer après le geste qu’il avait soufflé à Ben Dormann.

     Mais, après le choc, il avait perdu le contact. Par instants, il « accrochait » le cerveau de Ben ou celui de Ginella, et il avait de très fugaces visions du drame qui se jouait dans l’immense salle aux sphères.

     Cependant, il ne pouvait suivre. Les supports psychiques nécessaires, c’est-à-dire les cerveaux des trois jeunes gens, lui faisaient le plus souvent défaut, Ben et Ginella devant être, il le devinait, dans une situation dramatique, qui ne permettait pas la détente nécessaire à la communication télépathique.

     Quant à Axel Sweet, il renonçait à sonder son esprit, qu’il avait trouvé uniquement envahi par l’image idéale, laquelle annihilait toute autre pensée, asservissant l’homme par le fait même que le jeune médecin — félicité ou malheur sans nom ? — ayant atteint le summum, ne pouvait aller plus avant.

     – Comment se fait-il qu’on ne nous poursuive pas ? Geôlières et gardes n’ont-ils pas donné l’alerte ?

     – Au moins les filles… Enfermées, elles ont dû crier dans l’interphone.

     – Et on ne rencontre personne. Pourtant le trajet n’en finit pas.

     – Il me semble, dit Coqdor, les yeux clos, serrant instinctivement les paupières pour échapper à la vision oculaire et se consacrer aux clichés intérieurs, il me semble que, là-bas, la confusion est extrême.

     Haletants, ils allaient.

     Le couloir continuait, tournant, tournant, puis formant une courbe contraire et exécutant un nouveau mouvement, comme amorçant une spirale, qui ne s’achevait évidemment pas.

     Immobiles sur le tapis roulant, anxieux, guettant le moindre bruit, ils étaient quasi épouvantés de ce silence, et de la carence de ceux qui avaient été chargés de les garder, assez mollement d’ailleurs, sans doute en raison de la passivité brute des êtres bleus, peu doués de réactions comme les sensibles et bouillants Terriens.

     Soudain, Muscat prêta l’oreille.

     – Écoutez !

     Râx, qui lui aussi se laissait emporter par le tapis roulant, siffla et huma l’air.

     – Oui… Devant nous… quel vacarme !

     – Les rêves libérés… Les images-fantômes projetées à tort et à travers sur Eo… Une nouvelle métamorphose de la cité… Seulement, cette fois, ce ne sera pas volontaire de la part de Yao’K… Le trouble, la panique dans le peuple des êtres bleus…

     – Je me demande si ce sera vraiment efficace, murmura Grasel. Je n’ai pas voulu m’opposer à votre projet… Mais agiter ces épouvantails, si fantastiques soient-ils, devant ces êtres qui ne s’attardent jamais à songer…

     – Je pense justement qu’ils n’en auront que plus peur… Le rêve, ils ne savent pas ce que c’est… du moins à titre personnel… Ils seront épouvantés par cette ruée inconnue…

     Brusquement, ils furent tous trois, et le pstôr, projetés sur le tapis roulant, qui venait d’avoir un soubresaut.

     – Que se passe-t-il ?

     – Une fausse manœuvre.

     – Tout se dérègle, à Eo. Résultat de notre sabotage à distance.

     – Ben a bien travaillé.

     – Mais que deviennent-ils, Ginella et lui ?Et Axel Sweet ?

     Ils frissonnèrent.

     Yao’K s’était-il déjà vengé ?

     Coqdor espérait que non. Il dardait sa pensée vagabonde, à la recherche des jeunes gens et assurait qu’il avait des contacts intermittents, mais si fragiles qu’il lui était impossible de lire dans les cerveaux ainsi heurtés.

     Du moins, cela démontrait que Ben et l’infirmière étaient toujours en vie.

     Le tapis roulant, maintenant, repartait en sens contraire, probablement déréglé.

     – À moins, remarqua le professeur, que nos geôliers ne se soient avisés de notre position, et qu’ils ne nous obligent ainsi à retourner vers eux à leur merci.

     – Diable des galaxies, il faut aller de l’avant, rugit Robin Muscat. On ne va pas se jeter dans ces chambres rondes qui me donnent le tournis, et il faut savoir ce qui se passe devant nous.

     S’appuyant les uns sur les autres, aidant Râx qui pataugeait pour les suivre, ils se livrèrent à une marche assez grotesque, fort pénible, sur ce tapis roulant pour progresser en sens contraire.

     Tant bien que mal, après mille efforts, ils arrivèrent au bout de l’extraordinaire couloir, flageolant, chancelant, titubant, s’agrippant et se basant finalement sur Râx lequel progressait sur les épaules de Coqdor, battant des ailes de façon à aller en avant, tandis que les trois hommes, saisis de vertige, de nausées, se cramponnaient parfois aux pattes postérieures du pstôr pour reprendre un peu d’équilibre.

     Ils débouchèrent enfin sur l’immense salle circulaire. Ils virent l’étendue du désastre.

    Tous les appareils semblaient déréglés, des flammes s’élevaient par endroits, les courts-circuits s’étant multipliés.

     Les êtres bleus, toujours vifs, précis, se débattaient contre une foule de choses formidables, terrifiantes ou séduisantes, qui envahissaient de plus en plus ce lieu aux proportions titanesques.

     Là-bas, au centre, ils voyaient les sphères, toutes brisées, s’élevant encore sur l’autel circulaire, où irradiait curieusement la table centrale que Ben avait déréglée.

     Effarés, éblouis, saisis d’horreur et d’admiration, Coqdor, Muscat et le professeur regardaient.

     Le peuple des techniciens d’Eo luttait vainement contre l’envahisseur, contre les mille et un phantasmes engendrés par les cerveaux des prisonniers et que l’initiative de Coqdor et le geste désespéré de Ben avaient jetés hors des prisons de cristal.

     Malgré leur insensibilité, et peut-être, comme le croyait Coqdor, à cause de cela, les êtres bleus reculaient devant les formes bizarres, insolites, étranges, créatures hybrides, hydres horrifiques, dragons fulgurants ou anges éblouissants, femmes radieuses ou hommes monstrueux, les innombrables visions nées du sommeil de l’humain, photographiées, filmées, concentrées, mises en relief, soigneusement enfermées par Yao’K et les siens et qu’une avarie provoquée venait de jeter un peu au hasard, sur la cité d’Eo.

     Ils virent, ce qui était le plus stupéfiant, le songe multiplié de Râx, l’être monstrueux né du rêve du pstôr s’assimilant curieusement à son maître.

     Ils virent des déesses plus belles que la beauté et des démons dont l’aspect eût fait reculer Satan en personne.

     Et ces formes qui n’ont pas de forme, et ces horreurs qui n’ont pas de nom, et qui traversent incompréhensiblement les cerveaux endormis.

     – Beau travail, ricana Robin Muscat.

     – Pensons à nos jeunes amis.

     Mais la foule des êtres bleus leur barrait le passage, se débattant contre les hardes grouillantes ou volantes des songes ainsi projetés.

     – Tout cela n’est qu’illusion, dit Coqdor. Profitons de la panique. Je crois percevoir les ondes émanant de Ben et de Ginella.

     Refusant de se laisser impressionner par le prestigieux spectacle de cette population en proie à des visions, d’ailleurs plus qu’impressionnantes, les trois hommes, suivis du petit monstre ailé, tentèrent de se frayer un chemin à travers la grande salle circulaire, parmi les appareils où abondaient les pièces en forme de sphères, les disques, les cercles, comme partout sur Eo.

     Cela recommençait comme sur Titania, comme à bord de l’H.-S. 22.

     – C’est du factice, du toc, dit Robin Muscat. Des films en relief, voilà tout. Et il y a de quoi leurrer et perdre un univers. Ah ! la science de Yao’K, c’est tout de même quelque chose.

     – Heureusement que nous n’avons pas à y croire, dit Grasel.

     Ils avançaient.

     Râx siffla furieusement. Devant eux, une chimère indescriptible, née de quelque rêve de drogué, dévorait un être bleu et des feux follets fantastiques, où apparaissaient parfois des visages atroces, brûlaient deux femmes bleues qui hurlaient, trouvant tout de même enfin leur sensibilité.

     Muscat resta comme interdit.

     Coqdor le saisit par le bras.

     – Robin ! Tout cela est faux. Venez !

     Grasel claquait des dents.

     – Faux ? Êtes-vous bien sûr que nous nous promenons à travers le plus prodigieux des films en relief jamais produit dans les galaxies ?

     Frappé, le chevalier regarda autour de lui.

     Une sorte d’Erinye cent fois ailée, et dont les ailes étaient couvertes d’yeux flamboyants, le heurta au passage et le jeta au sol.

     – Est-ce une illusion ? hurla Robin Muscat.

     Les êtres bleus périssaient sous la dent de monstres de cauchemar, les flammes brûlaient, les griffes déchiraient, les dents broyaient, et il en arrivait d’autres, d’autres toujours, avec un cortège de danseuses gracieuses, d’enfants souriants, puis d’engins jamais construits sur aucune planète, le tout dans des décors qui paraissaient se déplacer avec eux et où les tons issaient d’on ne savait quelle palette inconnue dans le cosmos.

     Coqdor se relevait, étourdi par le choc.

     Muscat marchait, avec horreur, dans le sang bleu des victimes des harpies formidables.

     Râx sifflait avec colère et Grasel râla soudain :

     – Réalité ! C’est la réalité ! Ils sont vrais !

     Les phantasmes avaient pris corps.

     Et cette immense armée née de cerveaux névrosés, drogués, ou simplement un peu enfiévrés, s’abattait sur la planète Eo, ravageant tous les domaines du voleur de rêves…

    

      

      

 

      

 CHAPITRE XIII

 

      

     Tout de suite, l’esprit méthodique de Grasel tentait une explication.

     – Catalysation photonique… La surcompression des images… les courants inconnus qu’utilisent les êtres bleus… Le sabotage de Dormann a provoqué des réactions inattendues, projeté sur Eo ces masses brusquement cristallisées, totalement matérielles d’ailleurs, sans aucune intelligence.

     En effet, ils s’en rendirent compte dans les instants qui suivirent, il n’était pas question de créatures, humaines ou animales, ni même de machines spécialement destinées à tel ou tel usage.

     La formidable catalysation du potentiel onirique enregistré donnait naissance à des forces absolument aveugles, mais qui, curieusement, paraissaient obéir à leur forme intrinsèque.

     Ainsi, si les monstres venus des cauchemars se jetaient stupidement sur les êtres bleus, si les bulldozers jaillis des abîmes de l’esprit démolissaient systématiquement, les filles magnifiques engendrées par les cœurs inassouvis et les corps continents avançaient avec des sourires prometteurs, semblant s’offrir, provocantes, attirantes, effrayantes aussi. Quoi qu’il en fût, c’était, pour la planète Eo, pour les installations de Yao’K, pour tout le peuple des êtres bleus, un danger de nature et d’importance exceptionnelles.

     Danger aussi pour le « matériau de base » du sinistre Yao’K.

     En effet, ces visions tournant à une réalité effarante émanaient des malheureux disposés dans les cellules-sphères où ils stagnaient, horizontalement soutenus par les ondes-force, et où leur sommeil onirique était artificiellement alimenté par un apport des drogues venues de tout l’univers.

     Il y avait là quelques-uns des êtres kidnappés dans le monde du Navire, et tous ceux qui venaient de l’H.-S. 22, à l’exception des pauvres gens traités à distance, et dont le cerveau était totalement vide, l’action téléguidée étant moins précise et ayant à jamais détruit leur personnalité.

     Ces derniers, on ne les voyait plus. Sans doute Yao’K et les êtres bleus, les ayant jugés inutilisables après examen, s’en étaient débarrassés par des moyens auxquels on n’osait penser.

     Les cellules-sphères, elles aussi, éclataient sous la pression de la harde, et Coqdor, Muscat et Grasel constataient avec horreur qu’ils étaient bien incapables de sauver leurs prisonniers.

     Par contre, les êtres de la Galaxie Rouge, toujours vifs et peu émotifs, réagissaient vigoureusement.

     Ils entamaient le combat avec leurs curieux pistolets, provoquant des destructions effrayantes dans l’avance formidable de la masse des songes.

     Cependant, en dépit du nombre, le personnel de l’usine ne pouvait endiguer un tel flot. On eût dit que les globes fracassés par le geste de Ben Dormann contenaient des réserves inépuisables, car des formes plus étranges les unes que les autres en sortaient sans cesse et l’invasion se poursuivait.

     Des feux bien réels ravageaient l’immense laboratoire, de ces feux hallucinants qui n’existent que dans les rêves, et qui atteignaient maintenant une réalité proprement redoutable car ce qu’ils atteignaient s’annihilait, sans même laisser de décombres ou de cendres.

     Beaucoup de ces créations insensées demeuraient du genre volant, très propre au domaine onirique et les êtres bleus, dominés par ces nuages de cauchemar avaient peine à les atteindre.

     Évitant au mieux l’immense envahisseur aux formes sans cesse variées, Coqdor, Muscat et le professeur, toujours suivis de Râx qui sifflait de colère permanente, tentaient de traverser le labo géant.

     Des gouffres se creusaient, là où les feux oniriques avaient rongé, ne laissant rien, que des trous énormes. Le sang bleu des êtres déchiquetés par les hydres inondait tout et plus d’un cadavre restait sur le terrain.

     Les trois hommes, en passant, virent avec tristesse les cellules-sphères, et les victimes de Yao’K achevant leur vie dans les débris des installations, vidés à jamais de toute pensée avant d’avoir rendu l’âme, toutes leurs facultés mémoire-imagination ayant été aspirées par les machines de Yao’K, et ayant finalement engendré ce cataclysme d’un genre inédit.

     – Commissaire Muscat ! Commissaire Muscat !

     Ils aperçurent, entre des falaises mouvantes où naissaient des mains griffues, où se voyaient des visages de mort et des formes de beauté, un petit groupe humain.

     Ils reconnurent Ben et Ginella, et près d’eux, un homme à genoux, indifférent au drame fantastique qui se jouait.

     Axel Sweet regardait la déesse arrachée à son cerveau, matérialisée, et qui lui apparaissait comme sur un piédestal.

     Les rescapés de l’H.-S. 22 se réunirent, avec bien du mal, évitant les falaises vivantes qui allaient se rejoindre entre elles, se refermer sur eux.

     Ils se retrouvèrent un peu à l’écart, dans une zone dévastée, mais où le fléau était déjà passé, où les êtres bleus restant agonisaient dans des flaques de ce sang aux couleurs si bizarres.

     – Où est Yao’K ?

     – Il a tenté de me faire tuer, quand j’ai tout fait sauter. Mais il a dû reculer, comme ses sbires, devant la ruée formidable. Que se passe-t-il donc ? Comment cela a-t-il pu se produire ?

     – Je n’en sais, foutre rien, dit le professeur. J’ai cherché une explication…

     Il narra brièvement à Ben et à Ginella les rudiments de son hypothèse.

     Coqdor intervint.

     – Je pense que cela correspond également à ces phénomènes de matérialisation quelquefois observés autour de certains médiums. On prétend, mais c’est du charlatanisme, qu’il s’agit d’apports astraux, venus de l’au-delà. Je n’en ai jamais rien cru. Il y a là, en fait, un phénomène naturel semblable à celui que nous observons. À cela près que nous sommes au sein de la plus formidable réalisation de concrétisation jamais réalisée dans le cosmos.

     – Si j’avais su où conduirait mon geste, murmura Ben que Ginella ne quittait pas, l’enlaçant avec une tendresse désespérée.

     – Il aurait fallu le faire quand même, dit Muscat. Le chevalier Coqdor vous a guidé, a inspiré ce mouvement de révolte. Il n’est pas venu de vous seul…

     – Mais cette catastrophe…

     – Elle sauve le monde. Yao’K, avec une telle arme, a montré ce qu’il était capable de réaliser… Titania… L’H.-S. 22… des malheureux amenés plus loin que la folie…

     – En effet, dit Coqdor. Maintenant, c’est sans doute bien fini.

     – Fini pour lui. Fini pour les êtres bleus. Mais pour nous…

     – Qu’allons-nous devenir ? pleura Ginella. Les quatre hommes regardaient la jeune fille avec tristesse.

     – Il faudrait joindre Yao’K, dit nettement le chevalier.

     Ils regardaient autour d’eux.

     Yao’K n’apparaissait pas, ni aucun être bleu. Ces derniers évacuaient petit à petit l’usine-palais, chassés par la harde des songes matérialisés, qui s’étendait toujours et semblait s’acharner sur la population d’Eo.

     – Cela nous laisse un peu de répit, dit Muscat, quand ils eurent constaté où ils en étaient de leur situation. Nous ne pouvons plus rien pour nos pauvres compagnons.

     – Sauf Axel Sweet, fit remarquer Ginella. Nous ne pouvons le laisser.

     – Mais il va nous suivre.

     – Non. Il n’écoute rien, ne sent rien. Il regarde l’Idéale…

     Muscat s’avança vers Sweet, qui l’ignorait. Il lui parla vainement, n’insista pas.

     Soudain, d’un vigoureux coup de poing, le commissaire envoya le jeune médecin dans un voyage provisoire vers les limbes.

     – Vous l’avez assommé !

     – Le seul moyen. Il faut sortir d’ici. Venez.

     Malgré lui, tout en soulevant le corps d’Axel, aidé de Ben et de Coqdor, Muscat louchait du côté de la déesse qui fascinait Axel.

     Elle n’était sans doute pas son idéale, pas plus que celle de Ben, qui ne songeait qu’à Ginella, ni celle de Coqdor. Et le professeur Grasel, veuf depuis longtemps, restait fidèle à un souvenir.

     Mais les quatre hommes devaient admettre que cette créature de rêve au sens exact du mot, avait de quoi rendre un homme totalement idolâtre, au point de lui faire oublier le reste de l’univers.

     Seulement, ce n’était pas le moment d’admirer. Il fallait fuir.

     À travers les objets sphériques, les cercles, les globes, le tout brisé, fracassé, sinon entamé de ces trous absolus provoqués par les flammes oniriques, ils cherchèrent à sortir de l’usine-palais.

     La harde née des prisons de rêves se dirigeait, automatiquement, dans une même direction.

     – Ces forces sont aveugles, purement matérielles. Elles avancent, elles se contentent d’être ce qu’elles sont, de forme, et leur action est conditionnée par cela. Mais, comme le cauchemar l’emporte souvent sur le rêve, c’est bien plus nocif que séduisant, plus effrayant qu’agréable…

     Ils purent, assez aisément, éviter la masse effroyable, se retrouvèrent sous le soleil de la nébuleuse qui éclairait Eo.

     Les êtres bleus s’organisaient.

     Toute une armée tentait de détruire la harde onirique. Des armes gigantesques, sortes de miroirs paraboliques, lançaient des traits de feu blanc qui entamaient fortement la masse formidable. Mais elle se renouvelait sans cesse, le potentiel des songes semblant vraiment inépuisable.

     Dès que les Terriens furent en vue, un certain mouvement se dessina dans les rangs des petits hommes vifs à face bleue.

     Muscat, toujours sur ses gardes, s’en aperçut et invita vivement ses compagnons à refluer vers l’usine-palais.

     Mais, vers eux, seul, sans arme, un être bleu s’avançait, se détachait de la véritable armée qui tentait de faire face au cataclysme.

     – Yao’K…

     Le pontife d’Eo venait vers eux.

     Il fit un signe qui, dans toutes les galaxies, signifie qu’on se présente désarmé, et avec les meilleures intentions cosmiques.

     – Que nous veut-il ?

     – Parlementer ? Alors que nous sommes si faibles… qu’il a une armée à sa disposition, qu’il doit faire face à un fléau sans précédent…

     L’homme bleu fut près d’eux. Ils le regardaient venir et, alentour, les flèches de feu blanc continuaient à trouer la grande masse onirique, sans parvenir à la détruire totalement, car de l’usine-palais, le déluge des rêves matérialisés continuait à jaillir, amenant sans cesse des formes plus fantastiques, plus insolites, des créatures séduisantes mais encore et surtout ces produits des cauchemars, ces titans d’horreur et ces engins de malédiction, capables de détruire tout un monde.

     Par bonheur, la force brute demeurait orientée dans une direction unique, donnée au départ, et déjà un cortège formidable s’étendait, harcelé par les coups des êtres bleus, mais demeurant suffisamment dense pour détruire et dévorer de ses myriades de griffes et de dents, de ses rouages d’épouvante, de ses tanks impensables…

     Yao’K put ainsi avec une facilité relative rejoindre le petit groupe des Terriens.

     – Je viens à vous, dit-il, d’une voix neutre. J’ai besoin de vous.

     Coqdor, Muscat, Grasel, Ben et Ginella le regardaient.

     Près d’eux, ils avaient couché Axel Sweet, qui revenait lentement à lui après le terrible uppercut dont l’avait gratifié Robin Muscat.

     – Nous vous écoutons, Maître Yao’K, dit posément le commissaire.

     L’être bleu montra le gigantesque mur mouvant, sortant sans cesse du palais, et avançant à travers Eo qui s’annihilait sur son passage, tandis que des membres hideux, avançant vers les êtres bleus, en agrippaient de temps à autre, malgré les coups de feu blanc, et massacraient les coplanétriotes de Yao’K.

     – Je ne puis stopper cette catastrophe. J’en suis responsable, je le sais. Vous avez, vous aussi, votre part dans ce qui nous arrive.

     – Ne discutons pas, coupa sèchement Muscat. C’était de bonne guerre. Vous avez attaqué, non seulement notre planète, mais le cosmos tout entier. Des procédés inouïs, dont nul ne pouvait — la preuve — prévoir les conséquences.

     – Je croyais, avoua Yao’K, agir par hallucination, par hypnose collective. Leurrer des peuples en leur montrant des films d’absolu. Or, la matérialisation accidentelle, provenant vraisemblablement des vapeurs d’argent dont on se sert pour fixer les films (une quantité démesurée ayant condensé les photons jusqu’à les rendre tangibles) mon peuple, ma planète sont en péril.

     – Et qu’y pouvons-nous ? Vous avez des moyens de lutte.

     – Mes armées sont en action. Regardez. Des engins volants attaquent. Nos flammes blanches sont terribles. Cependant, ni du sol, ni de l’air, nous ne pouvons arrêter l’avance de la masse onirique. Je viens vous demander. Nous autres de la Galaxie Rouge ne sommes pas des rêveurs. Mais vous… Peut-être savez-vous comment arrêter les rêves ?

     Il y eut un instant de silence.

     La question inattendue de Yao’K les plongeait dans la stupéfaction.

     Coqdor se reprit le premier.

     – Nous n’y avions pas songé. Mais, en effet, voilà la solution. Comment se fait-il que le déroulement de la masse onirique puisse se continuer ? Sinon parce qu’elle demeure alimentée…

     – Quelqu’un vit donc encore, là-dedans, quelqu’un qui rêve en permanence, et qui ajoute son propre songe à l’accumulation de ceux d’autrui, accumulés, compressés, mais qui finiraient par s’épuiser, puisque, de toute façon, il ne s’agit que de films, de séries photographiques, en état de projection. Un film, si long soit-il, cela finit tout de même par s’arrêter…

     Yao’K secoua la tête.

     – Explication intéressante, mais inexacte. J’y ai pensé. Seulement, malgré les circonstances, j’ai fait jouer certains contrôles. Je puis vous dire que, à l’heure actuelle, aucun de nos sujets, aucun de ceux qui ont fourni les songes à nos caméras, ne survit. Tous ont péri.

     – Dans ce cas, fit le professeur, il faut attendre que ce qu’on nommerait la projection soit terminée. Le film tout entier, film tridimensionnel tangibilisé, s’arrêtera. Alors, malgré les terribles dégâts qu’il aura occasionnés, vous en viendrez à bout et vous arriverez à le détruire complètement.

     – Je le croyais… Mais je comprends qu’il existe encore une source onirique… il suffit, je le sais, d’un seul dormeur pour alimenter nos appareils…

     – Tous ont péri, dites-vous !

     – Savez-vous, Terriens, si les rêves survivent aux rêveurs ?

     – Faites sauter l’usine. À ce moment, la source sera tarie. Le film s’arrêtera.

     Yao’K eut un mouvement de protestation.

     – Non… pas cela…

     Ils comprirent qu’il se refusait à abattre ce travail de titan, qu’il ne parviendrait peut-être jamais à reconstituer. Il préférait prendre encore le risque de voir détruire une grande partie de sa planète, plutôt que de mettre fin à ses « expériences », à ses idées de domination cosmique.

     Muscat brusqua les choses.

     – Sire Yao’K, il y a un moyen… Mais je vous demande, en échange, votre parole. Un astronef nous conduira hors de la Galaxie Rouge…

     – Accordé, fit Yao’K, qui ne s’embarrassait pas de tergiversations.

     – Faites-nous conduire à l’astroport. Et accompagnez-nous. Il est nécessaire que, d’abord, nous survolions Eo.

     Ni Grasel, ni Dormann, ni Ginella ne bronchèrent.

     Muscat semblait résolu. Coqdor, lui, venait de lancer un coup de sonde psychique dans le cerveau de son vieil ami, afin de savoir ce qu’il manigançait. Et il réprimait un sourire.

     Des êtres bleus vinrent à eux et soulevèrent Axel Sweet.

     Muscat demanda qu’on le ménageât. On le prit délicatement et de petits engins sphériques vinrent promptement enlever les Terriens et Yao’K.

     Survolant Eo, ils purent apprécier le désastre.

     La harde des monstres, formant une sorte d’énorme conglomérat, fait des milliards et des milliards d’idées, de sensations, de clichés, qui hantent le sommeil des dormeurs, s’étendait en un long cortège qui démolissait, rongeait, absorbait, déchirait et brûlait tout sur son passage.

     Depuis l’usine-palais, on voyait cet immense cordeau, de tons incroyablement variés, aux formes multiples, hallucinantes, qui déferlait sur la ville.

     Muscat et ses amis silencieux, qui lui faisaient confiance, se firent conduire à bord de l’astronef fait, comme tous ceux d’Eo, de globes assemblés, tel celui qui les avait amenés depuis la Voie Lactée.

     – J’imagine, dit Muscat, que vous possédez à bord un armement sérieux.

     – Oui. Des tubes à flamme blanche. En principe, ils valent les inframauves de votre galaxie.

     Muscat se les fit montrer et pria Yao’K de faire démarrer le navire spatial.

     On le stabilisa à quelques centaines de mètres au-dessus de la cité dévastée.

     Le policier des étoiles se tourna vers Coqdor, le regarda, ne dit mot.

     Le chevalier, qui l’entendait télépathiquement, Muscat offrant son esprit ouvert à l’introspection de son ami, fit un signe d’assentiment.

     Yao’K, qui les observait, voulut soudain intervenir.

     Mais il était trop tard.

     Rapidement, Muscat faisait jouer le déclenchement du grand tube à flamme blanche et Yao’K, malgré sa retenue glacée, jetait un cri de fureur et de désespoir.

     Le jet fulgurant, que le commissaire avait braqué de façon foudroyante venait d’atteindre l’usine-palais, qui disparaissait dans un tourbillon, totalement détruite en une fraction de seconde.

     Et Muscat, posément, déclarait devant les êtres bleus :

     – C’était nécessaire. Parce que cela ne se serait probablement jamais terminé. Les rêves, c’est inépuisable…

    

      

      

      

 

 CHAPITRE XIV

 

 

     Yao’K avança sur lui.

     – Je ne suis pas dupe. Vous ne vous en tirerez pas par une boutade. Vous m’avez trompé. Cette destruction n’était pas nécessaire. Et, d’ailleurs, vous ne saviez pas en réalité comment faire.

     Robin Muscat éclata d’un rire nerveux.

     – Bravo, seigneur Yao’K. C’est juste. Je ne savais pas. Personne ne savait. Personne n’y comprenait rien et ne pouvait rien y comprendre. Une réaction en chaîne, on sait quand cela se produit… mais, quant à sa fin, nul ne la connaît. Il y avait peut-être encore un dormeur qui alimentait les rêves monstrueusement matérialisés. Ou peut-être une autre explication. Mais qu’importe ? Ce qu’il fallait, c’était détruire la génératrice d’un tel fléau, C’est tout.

     Yao’K avait repris son calme.

     – Vous m’avez trahi. Vous admettrez que je ne doive pas tenir ma parole.

     – Pardon. Regardez ! La source de la masse onirique, cette fois, est tarie.

     Yao’K dut bien en convenir.

     Mais ses yeux blancs, ses yeux sans regard, plus effrayants que les yeux de ses malheureuses victimes, qui gardaient encore l’aspect humain, ses yeux n’exprimaient rien.

     De sa voix sans passion, tout juste un peu ironique, l’insensible créature prononça :

     – Mais vous avez détruit, dans la cité d’Eo, une installation qui n’avait pas, qui ne pouvait pas avoir sa pareille dans aucune galaxie. Le fruit de siècles et de siècles de travail, de science, de connaissance…

     – Il y a pour, il y a contre, riposta Robin Muscat. Sans cela, la ville d’Eo, et la planète, et peut-être la Galaxie Rouge tout entière auraient été détruites. Maintenant, quelle que soit l’étendue du fléau, vos armées en viendront à bout, à plus ou moins longue échéance.

     Il y eut un silence.

     Les Terriens se trouvaient mal à l’aise.

     Ils étaient sur ce curieux astronef, entourés d’une bonne douzaine de guerriers bleus, armés, impressionnants, tournant tous vers eux des yeux semblables à ceux de Yao’K.

     Ginella tremblait. Ben se mordait les lèvres. Muscat, porte-parole du petit groupe, enrageait de discuter avec un interlocuteur dont la psychologie lui échappait, en raison de son aspect biologique si particulier.

     Râx, couché aux pieds du chevalier, sifflait de temps à autre, ce qui indiquait son hostilité, mais Coqdor le calmait, à petites tapes sur la tête.

    Il y avait aussi Axel Sweet. Mais le jeune médecin, encore mal remis du choc, paraissait étranger à tout cela.

     Muscat attendait. Il se tenait sur ses gardes, ne se dissimulant pas qu’un nouveau coup de force, après le geste de Ben dans l’usine-palais, après le sien propre qui avait détruit la formidable machine, n’aurait guère de chance de réussir, les êtres bleus étant prêts à les abattre tous.

     Yao’K parla enfin :

     – Nous allons redescendre vers Eo. Je statuerai plus tard sur le sort qui vous sera réservé.

     Nouveau petit silence. Ben et Ginella, très près l’un de l’autre, s’interrogeaient du regard sur la suite des événements.

     Quel sort leur réserverait le voleur de rêves, cet être dont on ne devait attendre ni pitié, ni compassion, ni aucun sentiment vraiment humain ?

     Muscat et Coqdor, eux, demeuraient silencieux, mais étrangement tendus.

     Ils virent sur eux les êtres bleus. Ils ne résistèrent pas, quand on leur arracha les armes prises aux geôliers de la rotonde, quand on les immobilisa, de ces mains nerveuses, à l’épiderme bleu, dont le contact procurait un malaise.

     Pour la troisième fois, cependant, il y eut réaction.

     Râx, jusque-là immobile, et que les êtres bleus s’apprêtaient à neutraliser, s’envola d’un bond, bousculant deux créatures de ses ailes immenses et incroyablement fortes et s’abattit sur les épaules de Yao’K.

     Le pontife d’Eo se sentit captif. Les pattes postérieures, griffues, du petit monstre, se crispaient sur sa chair et, déjà, le sang bleuté coulait.

     Râx battait des ailes, en équilibre, tandis que sa gueule menaçante était prête à se refermer sur la gorge de Yao’K.

     Ce dernier, immobilisé, jeta un ordre bref, et aucun être bleu ne bougea.

     – Vous avez parfaitement raison de dire à vos hommes de se tenir tranquilles, fit la voix paisible du chevalier de la Terre. Je pense que vous avez compris. Râx m’obéit. Il m’obéit psychiquement. Je n’ai pas besoin de parler. Je pense seulement. Le pstôr vous tuera, infailliblement, si un seul de vos sbires fait le moindre geste.

     Yao’K ne bronchait pas, en dépit de la douleur de ses épaules labourées, et du péril qu’il encourait. Les gardes étaient figés comme des statues.

     Muscat souriait. Il avait flairé quelque chose, un peu avant. Il connaissait si bien Coqdor.

     Cette petite flamme dans les yeux verts indiquait que le chevalier n’était pas décidé à se laisser faire, et le policier avait attendu, n’ayant d’ailleurs pas le choix, soucieux de ne pas faire un geste qui eût attiré des représailles sur les trois jeunes gens dont il se sentait comptable.

     Le professeur Grasel admirait. En bon praticien, rien d’humain ne lui était indifférent et il se proposait d’étudier l’action télépathique du chevalier sur le pstôr.

     – Que voulez-vous ? demanda Yao’K.

     Sa voix mécanique était tellement neutre qu’on n’eût jamais imaginé sa dramatique position.

     – Nous sommes sur un astronef, dit Coqdor. Donnez l’ordre d’envol.

     – Quelle direction ?

     – N’importe, mais hors de la zone d’attraction de la planète Eo. Nous devrions y être dans quelques minutes. Je vous préviens, assez de perfidie comme cela. Vous pouvez nous perdre tous, mais Râx ne vous manquera pas. Je précise, même si on le tuait sur place, en ce moment, sa réaction suivrait dans la seconde précise de sa mort, et il refermerait ses crocs sur votre gorge. Vous voilà prévenu. Que l’astronef prenne l’espace.

     Figé comme une statue, ses vêtements se souillant du sang bleu qui jaillissait sous les griffes de Râx, Yao’K parla à ses sbires.

     Quelques instants après, Coqdor, Muscat et leurs amis, toujours sur leurs gardes, purent constater que c’était bien une réalité, que le navire spatial obéissait.

     La planète Eo leur apparaissait déjà, non plus comme un territoire, mais à l’instar d’un vaste disque dans le vide.

     – Maintenant, dit Coqdor à Yao’K, vous allez nous faire installer dans un département de ce vaisseau. Je vous préviens : vous ne nous quitterez pas. En permanence, un d’entre nous vous surveillera. Vous servirez d’otage.

     Il « pensa » que Râx devait libérer Yao’K, et Râx sauta sur le plancher.

     Yao’K n’avait toujours pas bougé.

     – Je pense, ajouta Coqdor, que vous devez vous faire soigner. Râx a provoqué des plaies.

     – C’est sans importance, dit l’étrange être bleu. Il y a beaucoup plus intéressant, pour nous tous.

     – Je vous écoute.

     – Vous croyez me tenir à votre merci, Chevalier Coqdor. Puis-je savoir ce que vous comptez faire ?

     – Rejoindre la Voie Lactée, c’est simple. Je sais que, de toute façon, votre rôle de voleur de rêves est terminé, et la menace que vous prétendiez faire peser sur l’univers n’est plus qu’illusoire. Comme tout ce formidable arsenal onirique dont vous vous serviez et qui, paradoxalement, a été amené à destruction par sa condensation même, par sa matérialisation à partir des vapeurs d’argent… si toutefois votre hypothèse est exacte.

     – Cela aussi, dit l’être bleu, c’est sans importance. Je dois vous prévenir d’une chose. Capitale. Vous pensez, vraisemblablement, gagner la Voie Lactée par subespace ?

     – Il me paraît impossible d’agir autrement.

     – Et vous avez raison, les distances séparant les galaxies entre elles échappant aux mesures que nous connaissons. Aussi dois-je vous prévenir : le navire sur lequel nous nous trouvons a été conçu pour naviguer d’une planète à l’autre à l’intérieur même de la constellation dans laquelle se trouve Eo. Rien de plus. Il n’est pas subspatial. Il ne saurait même vous conduire vers une autre constellation de la Galaxie Rouge. Vous êtes condamnés, que vous le vouliez ou non, à demeurer ici.

     – Vous mentez, gronda le commissaire, que le visage sans expression de Yao’K exaspérait en permanence.

     – Vérifiez !

     – Vous savez bien que nous ignorons tout de vos machines. La mécanique d’Eo diffère tant de tout ce qui existe dans notre galaxie.

     – Vous n’avez donc pas le choix. Nous avons, en effet, une science différente de la vôtre. Sans cela, nous n’aurions jamais pu agir à de telles distances, pour y lancer nos films, enregistrés dans les cerveaux de vos coplanétriotes, ou de vos homologues humains du monde du Navire. Même si notre astronef pouvait plonger subspatialement, vous ne sauriez le diriger.

     – Nous, non. Vos hommes, oui.

     Yao’K ne répondit pas.

     Coqdor insista :

     – Je lis mal dans votre cerveau, Sire Yao’K. Mais je me rends compte, ou que vous mentez, ou que vous ne dites pas toute la vérité.

     – C’est possible.

     – Yao’K, vous avez causé la mort de nombreux coplanétriotes. Sans compter ceux que, auparavant, vous aviez privés de rêves, c’est-à-dire du sens même de la vie humaine. Yao’K, croyez-vous que votre vie vaut cher, entre nos mains ?

     – De toute façon, mon œuvre est anéantie. Je pense qu’en ce moment, sur Eo, mes soldats détruisent petit à petit la harde des rêves matérialisés. Et nous, les êtres bleus, n’avons pas, devant la mort, vos sensibilités ridicules.

     – Brisons là, dit Coqdor. Faites mettre l’astronef en orbite autour de la planète Eo. Obéissez, sinon, puisque vous tenez si peu à la vie, je jure par le maître du cosmos que je vous livre à Râx.

     Yao’K donna des ordres et, un peu plus tard, les Terriens purent constater, en effet, que le vaisseau spatial tournait autour de la planète des créatures bleues.

     Sur des écrans, circulaires comme à peu près tout ce qui émanait de ce monde singulier, ils virent, par sidérotélé, ce qui se passait à Eo.

     En effet, avec leurs terribles flammes blanches, les gens de la planète achevaient d’annihiler le fléau et la masse des rêves concrétisés se dissociait, laissant cependant des ruines, des gouffres, des désastres multiples.

     Les êtres bleus du bord allaient et venaient, vifs, rapides, silencieux ou presque, comme tous ceux de leur monde. L’astronef poursuivait sa trajectoire.

     Les Terriens s’étaient réunis dans une cabine. Yao’K était avec eux, mais il paraissait se désintéresser totalement de leur action.

     D’ailleurs, maintenant, on ne parlait plus le spalax, que Yao’K connaissait si bien, mais tout bonnement l’antique et harmonieux français, pour ne pas être compris de lui.

     – Qu’allons-nous faire ?

     – Comment sortir d’ici ?

     – Au pire, il faudrait trouver une planète philohumaine, dans cette constellation, s’y installer.

     – Jamais, dans ce cas, nous ne reviendrions dans la Voie Lactée, ni sur la Terre.

     Ben caressait les cheveux sombres de Ginella.

     – Moi, Je ne me plains pas. Je suis avec toi. Le bonheur est partout où nous sommes.

     – Non, fit Muscat en tapant du pied, ce serait trop bête.

     – Alors, Commissaire ?

     – Alors, Yao’K a menti. Ce navire n’est-il pas, comme celui qui nous a amenés, de même type, donc subspatial ?

     – Je pense, dit Grasel, que c’est la vérité. Mais nous nous heurtons à la mauvaise volonté des êtres bleus, à notre ignorance des lois mécaniques qu’ils utilisent.

     – Il faut chercher, étudier leurs appareils, fit Ben Dormann.

     – Chevalier, intervint Ginella, vous qui sondez les cerveaux…

     – Je vous vois venir, charmante Ginella, vous voudriez que j’étudie le maniement des machines dans les crânes des êtres bleus. Hélas ! je vous l’ai dit, ils sont très différents de nous, bien que d’allure humanoïde. Et cette forme de pensée, schématique, qui laisse peu de part à l’imagination, ne se prête pas aux introspections psychiques.

     Des heures passèrent.

     L’astronef tournait, tournait inlassablement autour de la planète Eo.

     Dans la Galaxie Rouge. Loin de la Voie Lactée.

     Les êtres bleus agissaient comme si rien de particulier ne se passait. On eût dit un équipage très normal de cosmonautes au travail.

     Cependant, quelqu’un reprenait petit à petit sa place dans le groupe, le jeune Dr Axel Sweet.

     Il était sorti de sa torpeur et, maintenant, il avait réalisé ce qui était arrivé. Il était en proie à une mélancolie profonde, ayant perdu la vision de l’Idéale, et demeurant persuadé que jamais, dût-il parcourir le cosmos en tous sens, il ne pourrait retrouver une telle compagne.

     Ginella et Ben, gentiment, tentaient de le consoler.

     – À quoi bon te désoler ? Tu étais en extase devant elle. Tu oubliais tout, tu ne nous connaissais même plus. C’est très naturel. Mais, de toute façon, elle était inaccessible.

     Axel secouait la tête.

     – Non. Il y avait communication entre nous. Un lien comme jamais je n’aurais pu penser qu’il puisse en exister entre deux êtres.

     – Axel, Axel, elle n’était que la projection de ton rêve.

     – Je le sais. Je sais tout ce qu’elle m’a appris. Et même que sa nature était différente de la mienne.

     – Quoi ? Ce n’était pas une fille bleue, pourtant ?

     – Non, bien sûr. Seulement, elle était née, qu’on le veuille ou non, de la science particulière des gens de Yao’K.

     Soudain frappé par ces mots, Ben regarda Axel.

     – Que veux-tu dire ? Tu aurais, en cet échange muet, en cette extase qui t’emmenait vers ton Idéale, lu tant de choses en elle ?

     – Oui. C’est étrange, n’est-ce pas ? Mais cette fille possédait, inexistante, puis tangible, une dualité de nature. Pensée par moi, Terrien, elle se condensait selon les procédés des êtres bleus, d’abord en image tridimensionnelle puis, comme tout ce qui a été accidentellement matérialisé, en forme photonique concentrée jusqu’à la mutation atomique. Si bien que j’ai ressenti, en notre échange mental, tout ce qu’elle pouvait représenter du point de vue du monde qui lui avait donné naissance.

     Ben écoutait, avidement.

     – Continue, Axel.

     – Que je continue… Mais que veux-tu savoir ? Je suis parvenu, je l’avoue, à la joie suprême de communication-inter-êtres.

     – Il me semble, dit Ginella, que, avec une femme de chair, vous n’auriez jamais pu monter si haut, aller si loin.

     – Vous avez raison, chère Ginella. Et je… Mais qu’est-ce que tu as ?

     Ben semblait en proie à une exaltation indicible.

     – Attendez ! Je crois… Il me semble… Chevalier ! Commissaire ! Professeur ! Écoutez… La solution… Je crois que j’entrevois la solution…

     Yao’K comprenait-il ? On ne savait. Il demeurait semblable à une statue.

     Et les Terriens parlaient, parlaient entre eux.

     Une flamme d’espoir passait sur leurs visages.

    

      

      

 

      

 CHAPITRE XV

 

      

     Le bizarre astronef des êtres bleus tournait dans l’espace, à une distance équivalant à un millier de kilomètres de la planète Eo.

     Sans doute Yao’K tenait-il plus à la vie qu’il n’avait bien voulu le prétendre. Quel que soit le degré d’insensibilité, cela ne va sans doute pas en permanence jusqu’à la négation de son existence propre.

     Aussi, comprenant parfaitement que les Terriens étaient bien déterminés, et que, autant que lui sans doute, ils n’avaient plus grand-chose à perdre, Yao’K avait-il donné à ses hommes des ordres en conséquence.

     L’astronef satellisé, le pontife d’Eo se sentait tranquille.

     Les Terriens, ne comprenant rien à la mécanique très particulière de ce peuple qui avait tout basé sur la circonférence, ne pourraient jamais utiliser le système de plongée subspatiale lequel, ainsi que le pressentait Coqdor, existait bel et bien.

     Toutefois, l’homme bleu aux yeux blancs avait-il pu se demander ce qui se passait lorsque, dans le département où ses ennemis avaient élu provisoirement domicile, Robin Muscat l’avait entraîné dans une cabine à part.

     Là, le commissaire, aussi impassible que le voleur de rêves, veillait sur lui, farouchement, en compagnie de Râx.

     Coqdor, le professeur Grasel, Axel, Ben et Ginella, eux, restaient à part.

     Les sept sphères accouplées formant l’astronef proprement dit poursuivaient leur ronde céleste et, sur les écrans circulaires, la sidérotélé de la planète Eo montrait l’armée des créatures bleues qui continuaient à lutter contre les rêves concrétisés, détruisant petit à petit la masse formidable qui, maintenant, ne se reconstituait plus.

     Axel était étendu sur une couchette. Ginella lui soutenait très gentiment la tête. Ben, lui, surveillait le pouls de son camarade.

     Le professeur Grasel, comme d’ailleurs le jeune couple, suivait l’expérience tentée avec le plus vif intérêt.

     On avait aussitôt adopté l’idée de Ben Dormann et Axel, mélancolique, désabusé, avait accepté, avec un sourire triste, de se plier à tout ce qu’on souhaiterait de lui, bien que demeurant sceptique sur le résultat.

     Debout, face à lui, dressé sur ses jambes en équerre, les bras croisés, le chevalier Coqdor le fixait de ses fascinants yeux verts.

     Bien qu’il n’eût jamais servi de médium et se fût toujours cru allergique à ce genre de fantaisies, Axel commençait à sombrer dans l’hypnose.

     Coqdor utilisait peu sa force psychique pour convaincre ses semblables sinon dans des cas extrêmes. Il répugnait à cet asservissement d’autrui à sa volonté propre, à ce viol de personnalité. Pourtant, reconnaissant au maître du cosmos qui l’avait doué d’une telle puissance, il se disait qu’aucun don ne doit demeurer stérile et que, quelquefois, il est bon de cultiver les talents particuliers.

     On n’avait pas le choix. L’hypothèse avancée par Ben Dormann, après les confidences d’Axel, semblait mince au départ.

     Peut-être allait-on cependant obtenir un résultat.

     Axel Sweet, s’abandonnant complaisamment, avait pratiquement perdu son self-control. Comme il n’avait nullement songé à résister, faisant toute confiance au chevalier et que, fort de son expérience de jeune médecin, il avait, au contraire, préparé mentalement la réception des ondes-cerveau émanant de Coqdor, il n’avait pas tardé à devenir totalement passif et il répondait aux questions de cette voix mécanique, robotisée, désagréable à entendre, qui est celle des humains en transes.

     On se basait sur l’interpénétration psychique qui avait eu lieu entre Axel et son Idéale, la vision concrétisée, maintenant anéantie, mais qui lui laissait un souvenir impérissable.

     – … Sa forme est détruite, disait Coqdor. Qu’importe ! Elle est, puisque vous l’avez imaginée, que vous l’imaginez, que vous l’imaginerez. Elle est éternelle. En vous. Sa seule apparition concrète vous a révélé, vous l’avez dit vous-même, la dualité de sa nature. Tentez, Axel Sweet, de la faire revivre encore. Peu d’hommes, une fois dans leur vie, ont eu la bonne fortune de rencontrer l’Idole. Une Idole qui vous semblait vivante, qui était vivante. Elle n’était qu’une projection photonique matérialisée par la fixation des particules sur des vapeurs d’argent — du moins est-ce ce qu’avance Yao’K. Pourtant, vous l’avez vue, connue, aimée. Elle vous a parlé comme jamais âme n’a parlé à une âme. Retrouvez-la, Axel Sweet. Recréez-la. Elle existe. Elle est en vous. Elle y sera toujours.

     Au fur et à mesure que se déroulait ce discours, Axel souffrait.

     Les yeux exorbités, mais privé de vue extérieure, il pénétrait, au mépris du réflexe rétinien, dans un autre univers.

     Le sien propre.

     Là où tentait de le précipiter le chevalier Coqdor.

     Là où, perpétuellement, l’homme adore une bien-aimée qui n’appartient qu’à lui, qui lui est destinée de toute éternité.

     Mais, en la circonstance, il n’était pas question de s’attarder à de romantiques pensées, à de poétiques amours.

     – Cette femme… engendrée par vous… conçue par la science des êtres bleus… pétrie… férue de leurs connaissances… cette femme doit vous parler, vous renseigner… répondre à vos questions…

     Ben suivait le mouvement du cœur, qui s’accélérait. Ginella, maternelle comme toutes les femmes, caressait doucement le front du sujet, qui se couvrait d’une sueur qu’elle essuyait au fur et à mesure.

     Grasel prenait des notes.

     Et, bientôt, ces notes se précisèrent.

     Coqdor demandait à Axel d’interroger l’Idéale. Et parce qu’elle était justement Idéale, et non une faible créature de chair, elle possédait, ainsi que l’avait pressenti Dormann, une sapience quasi totale, équivalant tout au moins à celle de ceux qui, bien que n’étant pas vraiment ses créateurs, avaient réalisé des inventions qui, par accident, lui avaient donné une existence provisoire.

     Une mystérieuse longueur d’ondes la liait à Axel, son époux et son créateur, qui l’avait tirée, à défaut du limon d’une planète, des inventions en série des êtres bleus.

     La mutation semblait s’être déroulée selon le processus suivant : clichés mentaux émanant du cerveau du rêveur (Axel en l’occurrence), photons obtenus par captation des fréquences cérébrales, projection tridimensionnelle du film ainsi réalisé, enfin matérialisation par fixation industrielle (involontaire) des particules luminiques.

     L’Idéale avait existé. Tous l’avaient vue. Mais, détruite dans son apparence concrète, elle n’en vivait pas moins en Axel, laissant en lui l’impérissable souvenir de son apparition selon sa nature propre au moment de la matérialisation.

     C’est cette femme qu’on interrogeait, par le truchement d’Axel-médium.

     C’était cette femme qui répondait, suggérant les réponses à son adorateur, soumis à la volonté de Coqdor.

     – Quel est le système mécanique utilisé par les êtres bleus ?

     – Une juxtaposition de rouages circulaires. Le dentelage est fait de disques assemblés.

     – L’élément moteur énergétique ?

     – Le mouvement naturel de l’atome.

     – Le mode de captation des rêves ?

     – Une antenne gyroscopique, qui perçoit et est jumelée avec un écran sphérique. Les images sont projetées sur la surface interne de la sphère.

     Les réponses venaient, de plus en plus nettes. Grasel notait, fébrile.

     Les yeux verts de Coqdor flambaient.

     Cela dura. Deux grandes heures.

     Coqdor ruisselait de sueur, tant l’effort était grand et Axel, torturé par le passage des ondes allant de l’Idéale au chevalier, se tordait et commençait à gémir entre les phrases, un peu d’écume aux lèvres.

     Ben fit signe qu’il fallait arrêter.

     Ils respirèrent enfin, quand Coqdor eut tiré Axel de sa torpeur hypnotique.

     – Qu’ai-je raconté ? demanda-t-il faiblement. Des sottises ?

     Grasel, triomphant, lui montra ses notes.

     – Sottises, cela ? Tout le schéma de l’astronef qui nous porte et de ses compartiments séparés. Sweet… Tenez-vous bien… Sur les sept globes constituant le navire, un seul est conditionné pour la plongée.

     Axel eut encore son pauvre sourire.

     – Je suis heureux pour vous tous… C’est votre salut…

     – Le vôtre, Axel, fit doucement Ginella.

     Il eut un geste vague.

     – Oh ! moi…

     Il avait perdu l’Idéale et peu lui importait d’aller dans telle ou telle galaxie.

     Un point demeurait litigieux. On n’avait pu, le médium s’épuisant, déterminer avec précision la sphère-compartiment qui servait de canot subspatial, l’ensemble de l’astronef étant réellement conçu, ainsi que l’avait dit Yao’K, pour évoluer dans les parages spatiaux de la planète Eo.

     Qu’importait. L’Idéale en avait révélé assez comme cela.

     Grasel montrait complaisamment notes et croquis. Ces derniers étaient nombreux, évidemment, tracés fiévreusement par le crayon du savant.

     Ce n’étaient que sphères, disques, cercles, toute la mécanique si curieuse des êtres bleus.

    – C’est irrationnel, du moins vu de notre monde. Pas d’angles, dans tout cela. Et pourtant, cela fonctionne.

     L’espérance passait sur eux tous. Muscat, mis au courant, serra à les briser les mains du chevalier.

     Ginella s’abandonnait aux bras de Ben, mais, sous l’œil affligé du professeur, Axel était redevenu morne, lointain.

     Privé à jamais de la rencontre impossible avec l’Idéale, il ne pouvait partager la joie générale.

     Cependant, on avait ramené Yao’K.

     Devant le voleur de rêves gardé en otage, il importait de dissimuler tant d’enthousiasme, pour ne pas lui donner l’éveil.

     Pressentit-il la vérité ? Sans doute ne pouvait-il imaginer l’extraordinaire nature de l’expérience tentée pour percer ses secrets scientifiques, mais il dut deviner qu’il y avait du nouveau.

     Une fois encore, de sa voix neutre, il leur annonça qu’ils ne quitteraient jamais la Galaxie Rouge.

     Coqdor brûla ses vaisseaux.

     – Assez d’hypocrisie, Yao’K. Maintenant, nous savons. Vous n’avez menti qu’à demi. Cet astronef n’est pas subspatial. Du moins, une des sphères qui le composent est susceptible de nous emmener hors de ce monde.

     Le visage bleu ne cilla pas et les grands yeux blancs s’ouvraient, atroces à contempler, devant les Terriens muets.

     – Vous avez donc su ?… Mais comment ?

     – Ne cherchez pas à comprendre. Admettez-vous ?

     – Je reconnais votre force, Terriens, vos astuces, votre subtilité. Nos natures ne peuvent s’entendre. Là n’est pas la question. Qu’allez-vous faire ?

     – Utiliser la sphère subspatiale. Rejoindre la Voie Lactée.

     – Savez-vous exactement quelle sphère est conditionnée ? Prenez garde, ne répondez pas trop vite. Nos machines, nos commandes, se ressemblent toutes.

     Il dut capter leur hésitation, car il ajouta :

     – Je me doute que vous ne situez pas le tableau de commandes à manipuler.

     Coqdor le regarda, sans pouvoir « accrocher » une réaction oculaire, ce qui le gênait dans sa puissance psycho-visuelle.

     – Vous pensez bien, Yao’K, que nous attendons de vous que vous nous conduisiez, pour cette manœuvre. Bien entendu, en échange, nous vous libérerons à temps, et, avec vos hommes, et votre astronef privé de la sphère-canot, il vous sera loisible de retourner promptement sur Eo où, si j’en crois la sidérotélé que nous n’avons guère cessé de regarder, le péril est conjuré… à jamais.

     Yao’K resta silencieux un instant avant de riposter.

     – C’est votre plan. Je pourrais le contrecarrer. Refuser de vous révéler le système de plongée. Mais je sais que même si vous ne l’obteniez pas par la force, vous seriez encore capables de trouver la clé qui vous manque. Je ne sais comment, mais vous la trouveriez.

     – Très juste, sourit Coqdor.

     – Dans ce cas, je préfère vous libérer moi-même.

     Leur impression à tous fut semblable.

     Yao’K était de trop bonne composition.

     Cela ne cachait-il pas encore un piège ?

     Coqdor, pour sonder les cerveaux des êtres bleus, demeurait désarmé, leur nature étant si lointaine de celles des Galactiques de la Voie Lactée.

     Yao’K les mena dans une des sept sphères, leur montra, avec une certaine complaisance, le fonctionnement des appareils, très complexes, exigeant beaucoup de doigté, tout étant, comme toujours, basé sur le cercle, à l’exclusion de toute figure angulaire.

     Les êtres bleus, suivant les ordres du pontife, ne réagissaient pas et se consacraient au maniement de l’astronef.

     Les Terriens furent donc devant le tableau de commandes.

     Yao’K, très simplement, comme si tant de choses exceptionnelles ne s’étaient pas déroulées, prit congé d’eux.

     Ils se consultaient du regard.

     Devaient-ils le croire ? N’allait-il pas leur jouer un dernier tour ?

     On n’avait plus le choix. Grasel, Muscat, les deux médecins, Coqdor, et Ginella elle-même, se déclarèrent d’accord.

     Yao’K passa dans l’astronef proprement dit et les derniers êtres bleus qui se trouvaient là le suivirent.

     Muscat, debout devant les commandes, regarda ses compagnons.

     – À Dieu vat, dit le chevalier.

     Ce fut, pour Muscat, le signal qui leva ses dernières hésitations.

     Tous voyaient, sur un écran circulaire, la planète Eo, relativement proche, et l’ensemble de la Galaxie Rouge.

     Muscat pressa un volant en forme de disque, qui tourna sous sa main.

     Tout s’effaça sur l’écran, et les Terriens sombrèrent dans un vertige nauséeux qu’ils connaissaient tous.

     La sphère-canot se perdait dans le subespace.

    

      

      

 

      

 CHAPITRE XVI

 

      

     Où étaient-ils ?

     Dans l’espace ? L’astronef-sphère venait d’émerger. N’importe où.

     Parce que Muscat avait manœuvré au petit bonheur, s’en remettant à la Providence, incapable qu’il était, comme tous ses compagnons, de diriger convenablement l’appareil, les bases fournies par l’Idéale demeurant assez vagues, imprécises, comme toutes les communications télépathiques.

     – L’espace, cela ?

     Ils regardaient, par les hublots circulaires. Et ce qu’ils découvraient les effrayait.

     Partout, à travers la galaxie, là où les hommes voyageaient désormais avec une facilité relative, on découvrait, entre les mondes, un spectacle sans cesse renouvelé dans le détail, mais dont l’aspect général demeurait toujours à peu près analogue.

     On voyait l’immensité, comparée par les poètes cosmonautes à un grand rideau de velours noir. Et, sur ce velours sombre, l’éclat d’innombrables joyaux variés, qui étaient autant de soleils, brillant de la pourpre la plus farouche à la douceur tendre du saphir.

     Ici, rien de comparable. L’immensité dans laquelle ils se trouvaient jetés ne pouvait s’apprécier. Aucun point de repère, planète ou étoile. Rien.

     Muscat et Coqdor, qui avaient parcouru tant d’années de lumière, contemplaient ce spectacle — mais le mot était-il convenable ? — avec un effarement grandissant.

     – Rien… Rien… Avons-nous été précipités dans le néant ?

     Ben étreignait Ginella. Il promenait ses lèvres sur les beaux cheveux sombres, sur la nuque douce, sur le visage tant de fois caressé.

     Non, elle vivait. Elle était de chair et d’amour, et il se disait que l’idée terrible qui l’effleurait n’était qu’illusion morbide.

     Non, ce n’était pas vrai, ce qu’il avait craint de penser. Ils ne se trouvaient pas dans le domaine de la mort.

     Et pourtant…

     Ils finirent par distinguer quelque chose. Ce n’était pas une étoile, mais une sorte de fœtus stellaire, sans éclat, sans rayonnement.

     Ils en virent quelques autres pareils. Parce que la sphère-astronef avançait toujours.

     Mais avancer, progresser ? Cela n’avait guère de sens puisqu’on ne savait plus à quoi la distance était relative.

     Coqdor murmura enfin :

     – Nous devons être dans l’inter-galaxie. Entre la Galaxie Rouge, où se trouve Eo, et notre Voie Lactée.

     – Alors ? Ces… ces choses ? Des galaxies ?

     – Peut-être. Ou bien des quasars, ces quasars sur lesquels on ne sait toujours pas grand-chose.

     Sans doute le chevalier de la Terre avait-il raison.

     La plongée subspatiale les avait amenés là, au hasard. Comment s’en sortir ?

     Plonger de nouveau dans l’espace ?

     Mais y avait-il encore un espace ? Pouvaient-ils, précisément, assurer qu’ils se trouvaient dans l’espace, qui suppose au moins deux points éloignés l’un de l’autre ?

     – Pourtant, disait le professeur, ces… ces objets… galaxies ou autre chose, supposent une existence. Si nous les rejoignions…

     Ils firent des tentatives de plongée, et se retrouvèrent chaque fois dans un gouffre tout aussi négatif avec, seulement, les rares éléments mornes et si lointains qu’ils semblaient inaccessibles, même à des gens qui avaient voyagé à travers tant d’univers différents.

     Les Terriens sombraient petit à petit dans un état de tristesse maladive. Axel Sweet, lui, était hors de tout. Muscat rongeait son frein. Le professeur alignait des chiffres. Coqdor s’étendait, longuement, sur une couchette, les yeux clos, mais on voyait qu’il ne dormait pas et, près de lui, Râx gémissait parfois douloureusement.

     Les deux amants, bien qu’heureux de la mutuelle présence, subissaient l’horreur grandissante qui les envahissait tous.

     Ils avaient tenté de manœuvrer la sidérotélé. Mais, soit qu’ils s’y prissent maladroitement, soit que les ondes ne puissent « passer » hors de l’inter-galaxie, le résultat demeurait nul.

     – Ah ! grondait Muscat, Yao’K savait bien ce qu’il faisait, en nous libérant aussi aisément. La crapule à face bleue spéculait sur le fait que nous aurions quelque peine, même en utilisant le subespace, à nous y retrouver. Quitter son univers, oui, cela nous était possible. Mais, ensuite, il nous savait perdus. Il s’est vengé comme il a pu, voilà tout.

     – Du moins avons-nous détruit ses installations, faisait le chevalier, pour le consoler. Il ne fera plus de mal au monde.

     – D’accord. Mais nous, vieux sorcier aux yeux verts, comment allons-nous faire ?

     – Les êtres bleus savaient passer d’une galaxie à l’autre, faisait alors remarquer Grasel.

     – Oui. Et même envoyer des ondes dirigées. Après tout, ce n’est jamais qu’avec des émissions bien organisées qu’il a perturbé le monde du Navire, puis, dans notre système, la planète Titania. Il nous a donné un échantillon plus précis, après les drames de l’H.-S. 22, après avoir vampirisé tant de cerveaux, en provoquant le pseudo-incendie de notre astronef. Sans parler de la séance de cinéma total sur la cité d’Eo. Et, bien que ses navires fussent aussi venus dans notre univers, le plus souvent, les émissions partaient depuis Eo, de la Galaxie Rouge.

     – C’est indéniable, puisque là se trouvait l’usine à cerveaux.

     – Il y a donc moyen d’envoyer un S.O.S. qui touchera la Terre, ou tout au moins une planète civilisée de notre monde.

     – Ou d’un autre.

     – Qu’importe. Tout, plutôt que demeurer dans cela !

     Coqdor, devant l’inertie de la sidérotélé et de la radio, avait lutté, intérieurement, essayant d’utiliser son formidable psychisme. Sa force télépathique avait souvent donné de bons résultats.

     Mais il sortait de là épuisé, hâve, les yeux creux, la sueur au front, tremblant encore de ce combat intérieur.

     – Je ne suis plus bon à rien. Ma pensée ne rayonne plus.

     Et Muscat souffrait de voir son ami cher, le chevalier qui avait réalisé tant d’exploits par sa musculature et son courage, par son cerveau et par son cœur, s’abandonner ainsi, devant une telle impuissance.

     Apaisante et douce, Ginella venait, posait un baiser sur le visage du chevalier-médium, murmurait de ces mots de compréhension que seules les femmes savent dire à l’homme le plus fort lorsqu’il se sent succomber.

     Pas de radio, pas de télépathie. Ondes mécaniques ou ondes humaines, rien ne pouvait donc les sauver.

     Ils n’essayaient même plus les plongées, se retrouvant toujours au sein de ce néant désespérant.

     Pour la millième fois, Muscat, le plus nerveux, le plus farouchement bagarreur de l’équipe, répétait :

     – Ils savaient, eux, ces abrutis à face bleue et à yeux blancs, ils savaient… Voyager, envoyer des radios, envahir un univers autre avec leurs saletés de fantômes et leurs guignols de cauchemar. Et nous, nous qui valons bien ces créatures insensibles et tout en technique, nous ne sommes donc plus capables de rien.

    Coqdor, étendu comme il l’était le plus souvent, ouvrit les yeux et le regarda.

     – Ils savaient, eux… Alors, je vais récidiver. Avec la collaboration d’Axel Sweet.

     – Quoi ? Interroger l’Idéale ?

     – Pourquoi non ?

     Ils acquiescèrent. Sans enthousiasme. Ils n’y croyaient plus. Ils ne croyaient plus en rien.

     Sweet, passif comme toujours, se déclara prêt.

     Coqdor expliqua son plan, assez complexe.

     Il n’était pas question de demander à l’entité n’existant plus que dans le souvenir d’Axel des renseignements techniques. C’eût été long, fastidieux, incomplet, et probablement stérile.

     Elle avait pu servir de guide pour une chose assez simple, en les dirigeant succinctement à travers les grandes lignes des moyens techniques utilisés par les êtres bleus, mais il était impensable, par ce procédé, de se renseigner sur le fonctionnement de l’usine des rêves.

     Coqdor voulait créer une chaîne psychique, de l’Idéale à Sweet, puis de Sweet à Coqdor.

     La première fois, il avait agi par hypnose. Cette fois, il voulait se brancher télépathiquement sur l’Idéale, Sweet servant de relais.

     Sweet, décidé malgré son apathie à aider ses compagnons, se concentra, tenta d’appeler ses souvenirs au maximum, essayant de revivre les moments extatiques où il avait vraiment vu la cristallisation de ses pensées, de ses rêves de toujours.

     On le vit lutter, se crisper, puis le visage se détendit et une expression de bonheur ineffable passa sur ses traits.

     – Il y est… Il la voit, s’écria Ginella.

     Coqdor, lui, debout selon son habitude, bras croisés, lançait son esprit, à travers celui d’Axel Sweet, vers l’Idéale.

     Il l’atteignit.

     Mais il ne l’interrogea pas. Il se servit d’elle. Il créait un réseau d’ondes, purement humaines au départ, puis se matérialisant selon le procédé inconnu des êtres bleus, procédé que l’Idéale ne pouvait évidemment lui révéler, mais qui existait en elle à l’état latent, eu égard à la partie de sa nature procédant de la science de Yao’K et de ses techniciens.

     Coqdor était le speaker, Axel Sweet le transformateur, l’Idéale devenant l’antenne.

     – C’est ainsi que, à travers l’immensité de l’inter-galaxie, Coqdor envoya le plus formidable élan psychique dont il fût capable, sous forme de S.O.S. vers la Voie Lactée, qu’il ne situait pas, mais qui, inévitablement, devait se trouver quelque part dans l’univers sur le chemin des ondes, dont le mouvement concentrique montait vers l’infini.

     Et quand ce fut terminé, le chevalier Coqdor tomba comme une masse, dans les bras de Robin Muscat.

     Il lui fallut un temps indéterminable — Qu’étaient les minutes ? Qu’étaient les heures ? — pour se remettre.

     Il était si las mentalement que Muscat, angoissé, se demandait s’il n’allait pas demeurer comme les victimes du voleur de rêves, ayant tout donné de son esprit, comme le monstrueux Yao’K l’avait pris dans les cerveaux des malheureux dont il se servait.

     Axel Sweet, lui, ne se releva pas de sa couche.

     Il gardait son sourire bienheureux. Et Ginella, se penchant sur lui, laissa couler ses larmes.

     – Ne le pleurez pas, lui dit Grasel, il est mort, plus de joie que d’épuisement. Il est mort, en face de son Idole. Bien des hommes auraient souhaité une telle fin…

     Du temps passa encore. Interminable. Incontrôlable.

     Coqdor reprenait ses esprits, petit à petit, au grand soulagement de Robin Muscat.

     Et le chevalier était redevenu lucide lorsque, dans l’inter-galaxie, ils assistèrent à l’émersion d’un astronef, dont la forme leur était familière, un de ces cosmavisos subspatiaux venus du Martervénux, les planètes de leur soleil-patrie.

     L’appel désespéré avait été entendu, Coqdor ayant réussi, sans s’en rendre compte, à « accrocher » les cerveaux des télépathes professionnels des satellites de communication disposés autour de la Terre et de divers autres mondes, et qui rayonnaient sans cesse à travers la galaxie, et l’univers.

     Muscat, Coqdor, Grasel, regardaient les sauveteurs qui venaient à leur appel, qui les ramèneraient par le truchement du subespace.

     Ben et Ginella, muets, souriants, ne disaient rien.

     – Ils rêvent, les amoureux, dit Robin Muscat.

     – Oui, ajouta Coqdor qui tirait, en jouant, les moustaches du monstre Râx, ils rêvent. Yao’K a volé des rêves, il a investi des planètes en les agglomérant, en créant des cauchemars collectifs. Mais Ginella et Ben ont trouvé bien autre chose… Ils sont deux… un seul rêve…

      

      

      

 FIN

 

    

 



[1] Voir : «Tempête sur Goxxi, Flammes sur Titan, le treizième signe du Zodiaque, etc.».